Une Tunisie ingouvernable ?
La Tunisie post révolution va de crise en crise. Après celle des intempéries, la dernière en date ressemble davantage à une impasse. Elle est avant tout politique, voire institutionnelle.
Hier jeudi, l’Assemblée constituante et le gouvernement qui en émane se sont retrouvés dans l’incapacité de communiquer. La faute au boycott par plusieurs blocs d’élus de la séance questions-réponses au gouvernement, ainsi qu’au monologue entamé ensuite par les ministres.
Le bloc des démocrates (essentiellement constitué par les élus PDP – Afek) dénonçait une répartition de la parole injuste et insuffisante : 1 minute par élu en moyenne, soit 30 minutes à répartir sur ses 30 élus.
La veille de la session, il menaçait de quitter l’enceinte de l’Assemblée si le bureau chargé du planning ne révisait pas une règle qu’il considère comme inique et favorisant la troïka au pouvoir. Menace qu’il mit donc à exécution, dans une atmosphère des plus délétères et chaotiques.
Du coup, la séance questions-réponses qui s’est tout de même étalée sur toute une journée avait des airs de plébiscite.
Au discours sous forme de plaidoyer des membres du gouvernement, ont succédé des questions plutôt complaisantes des élus de la majorité. Alors qu’il s’agissait de demander des comptes au nouveau pouvoir, l’ANC a donné le spectacle d’un échange stérile, d’un faux débat entre un gouvernement et une assemblée dépeuplée, acquise d’avance à sa cause.
Le fantôme des pratiques de l’ancien régime
De nombreux commentateurs dans les médias et les réseaux sociaux se sont plaints d’une impression de déjà-vu : celle de renouer avec un style du monologue interminable propre à l’ex régime pré révolution.
Le ministre de l’Intérieur Ali Laâridh a monopolisé la parole pour un total de plusieurs heures, faites de propos fleuves sur la nécessité de s’unir pour le bien du pays, l’identité arabo-islamique ainsi que toutes sortes de déclarations d’intention. Un type de discours qui ne passe plus auprès de l’opinion, et unconsensualisme inaudible de la part de la classe politique.
Hasard du calendrier, ce n’était pas là la seule fausse note rappelant l’ère Ben Ali. Moncef Marzouki, président provisoire de la République, était en visite hier dans le gouvernorat sinistré de Siliana. Là-bas, entouré de ses gardes du corps, il s’est livré à des bains de foule que l’on n’avait plus vus dans le pays depuis 2009 et la campagne présidentielle.
Même si en l’occurrence la détresse des locaux les poussait à se bousculer pour formuler des demandes sociales, un certain culte de la personnalité était encore perceptible et a renvoyé l’image d’une régression contre-révolutionnaire dans les pratiques.
Malgré une prétendue stabilisation de la situation sécuritaire par le gouvernement, la situation sociale reste explosive en Tunisie, le dinar est à un plus bas historique face à l’euro et l’agence Fitch a dégradé la note souveraine du pays à BBB-, avec perspective négative.
Quant à l’état d’urgence, son maintien reste suspendu dorénavant à la résolution de la question de la menace salafiste armée. Un tableau bien sombre à l’approche d’une saison touristique cruciale.
Seif Soudani