Tunisie. Les salafistes préparent une démonstration de force vendredi
La plupart des composantes du mouvement salafiste tunisien appellent à une démonstration de force vendredi prochain 16 mars devant l’Assemblée nationale constituante, pour exiger l’inscription de la charia « en tant que source unique de la législation » dans la future constitution. (Photo AFP)
Ces appels sont relayés sur les réseaux sociaux, où nous en avons pris connaissance. Ils sont conformes à la stratégie salafiste de pression sur le gouvernement et sur Ennahdha. Des prédicateurs étrangers, dont le Saoudien Moussa Cherif, avaient d’ailleurs recommandé aux salafistes tunisiens cette stratégie.
Le week-end dernier, un appel à une première manifestation de ce genre à Sfax, seconde ville du pays, n’avait mobilisé que quelques dizaines, probablement moins de 200 salafis, à en croire les vidéos diffusées par les organisateurs eux-mêmes. Pourtant, l’appel avait été relayé par les imams des mosquées salafistes de la ville.
A Tunis, vendredi prochain, il faudra s’attendre à une mobilisation plus grande. D’une part, ces mouvances sont bien implantées dans les quartiers populaires de la périphérie de la ville. D’autre part, les discours des leaders cherchent à chauffer les troupes quotidiennement. On a beau chercher des appels à l’apaisement ou à l’unité des Tunisiens, on n’en voit pas.
Différents propos distillent la haine à longueur de journée et cherchent à installer des idées simples mais dangereuses : la bannière de la religion est au-dessus du drapeau tunisien (comme s’il y avait concurrence) ; il y a deux sortes d’êtres humains et de Tunisiens (les mécréants et les vrais musulmans) ; les laïcs sont des athées qui travaillent à des agendas étrangers ; ceux qui sont contre les positions des salafistes sont de dangereux laïcs etc…
Les jihadistes sortent du bois
Dès lors, il ne faut plus s’étonner de lire sur les pages facebook du salafisme, des commentaires où les adeptes confient leur volonté d’en découdre avec « les laïcs, ennemis de l’islam ». On parle bien ici de menaces crédibles de violences physiques. Les réponses en général encouragent la patience. On demande de plus en plus d’en référer à « ton cheikh », ou bien d’attendre ce que dira cheikh Al Khatib Al Idrissi.
Al Khatib Al Idrissi est un sexagénaire non-voyant (depuis une quinzaine d’années). Originaire du fameux village Sidi Ali Ben Aoun, dans la région de Sidi Bouzid. Cette même région dont sont originaires plusieurs jeunes salafis, après la découverte d’armes à Bir Ali Ben Khelifa et les accrochages qui s’en étaient suivis.
Sa formation a d’abord été celle d’un technicien de santé et il a exercé le métier d’infirmier, avant de se rendre à La Mecque et d’étudier pendant neuf années, les sciences religieuses sur place. Il a fait de la prison sous Ben Ali, avant d’être assigné à résidence. Cet homme dont nous avons cherché vainement des photos ou des vidéos (celles de ses prêches ne montrent que l’assistance), semble être le maître du salafisme le plus radical en Tunisie.
Il y a environ une quinzaine de jours, il avait donné pour directive de ne plus utiliser le terme de jihadiya (jihadiste) en parlant de cette mouvance salafiste.
Mais cette instruction n’a pas été respectée par tous. Le cheikh Abou Iyadh, qui apparaît aux yeux de tous comme le numéro deux dans l’influence salafiste, l’utilise maintenant ouvertement et le revendique. On l’a vu sur plusieurs pages facebook, dans des déclarations à la presse et dans des vidéos.
Dans une vidéo diffusée dans la nuit qui a suivi l’affaire de l’outrage au drapeau, il a souligné : « Je parle au nom de la salafiya jihadiya » et l’a répété. Au mois de janvier, il avait déclaré que le jihad en Irak est encore plus obligatoire après le retrait des troupes américaines, ce qui avait soulevé de nombreuses et indignées protestations dans ce pays.
La salafiya jihadiya tunisienne pourvoit les différents théâtres d’opérations en combattants. Il y a quelques jours, des photos de combattants fraîchement envoyés en Syrie ont été diffusées.
Abou Iyadh se présente comme un ancien jihadiste, qui a côtoyé le fameux activiste palestinien Abou Qatada et qui a fait le coup de feu en Afghanistan. C’est un homme de 46 ans qui s’est pas mal déplacé dans différents pays, avant d’être arrêté en Turquie puis livré au régime de Ben Ali qui l’a condamné à 43 ans de réclusion. Il a été libéré en mars 2011, après la révolution.
Salafisme et takfir
La principale ligne de différenciation entre les jihadistes et les autres salafistes, est le takfir.
Les jihadistes considèrent :
– que le jihad offensif est une obligation divine ;
– que le jihad porte également sur les mécréants de toutes sortes, y compris les apostats, sur l’ennemi proche ou l’ennemi lointain ;
– que les chioukh salafistes ont le droit et l’obligation de pratiquer le « takfir », c’est-à-dire décréter qui est kafer (mécréant). Et que les autres salafistes, qui refusent le takfir, pratiquent le « irja », l’ajournement, c’est-à-dire qu’ils considèrent que c’est à Dieu de juger et de punir.
Finalement, Moncef Marzouki avait raison de vouloir pénaliser le « takfir ». Le bras de fer entre le gouvernement et les salafistes est loin d’être terminé et le parti Ennahdha sera obligé de trancher.
Boujemâa Sebti