Tunisie. Entretien exclusif. Samy Ghorbal : « Ennahdha a commis une volte-face »
Visionnaire, l’essai de Samy Ghorbal l’est sûrement. En sortant, fin janvier, son livre longuement muri, Orphelins de Bourguiba et héritiers du Prophète, l’essayiste et corédacteur du programme politique du PDP ne savait sans doute pas que l’actualité validerait à ce point ses thèses, 2 mois plus tard. Nous avons profité de son court passage en Tunisie pour nous entretenir avec lui à propos de l’actu de la Constitution en cours de rédaction, ainsi que de la fusion de principales forces d’opposition au sein d’une entité centriste.
Principal postulat de l’essai évènement, déjà un succès en librairie, le fait que l’article 1 de l’ancienne Constitution* est « l’article fondateur de la modernité tunisienne ». Pour autant, faut-il se féliciter que la classe politique dans son ensemble, au lendemain d’une révolution, ait réclamé le statu quo sur cet article ?
Cet immobilisme général, que d’aucuns qualifient de consensus, y compris chez les forces progressistes, n’est-il pas l’une des causes de la fuite en avant au sein de l’aile droite d’Ennahdha pour relever le seuil de ses demandes ? Celle-ci exige à présent une constitutionnalisation de la charia, après s’être prononcé en faveur d’un Etat civil lors de sa campagne électorale.
L’auteur livre sans détours le fond de sa pensée. Il nuance d’emblée que s’il avance en effet que « L’article 1er est le fil rouge de la modernité tunisienne », il affirme dans la foulée qu’« il fonde cette modernité en même temps qu’il l’hypothèque ».
Surtout, il pense que ce débat religieux et identitaire n’aurait jamais eu lieu si ce n’était « la volte-face d’Ennahdha » par rapport à ses engagements électoraux.
Samy Ghorbal est par ailleurs un ex conseiller d’Ahmed Néjib Chebbi et un ex « insider » des rouages du PDP, principal parti d’opposition aujourd’hui, autour duquel plusieurs autres partis de l’opposition moderniste devraient très bientôt fusionner. C’est en cette qualité que nous l’avons aussi interrogé à propos de son sentiment s’agissant de la disparition, de facto, d’une large partie de la gauche tunisienne, si la fusion venait à prendre forme.
C’est que même au cas où l’entité en question venait à ne pas s’appeler « Grand Parti du Centre » comme prévu, la présence en son sein de partis à coloration libérale tels qu’Afek Tounes, aux côtés des socialistes d’Ettajdid, pose question.
En fin analyste politique, il fait remarquer que le clivage traditionnel gauche / droite, selon un axe économique, tend à devenir de moins en moins pertinent au profit d’un axe modernistes / conservateurs en Tunisie. Or, les idéaux universalistes constituent aujourd’hui selon lui un socle commun pour les forces en passe de fusionner en vue de constituer le second groupe parlementaire du pays.
Propos recueillis par Seif Soudani et Rached Cherif
* « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain: sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la république. »