Tunisie. Interdiction de manifester Avenue Bourguiba levée, gouvernement en difficulté

 Tunisie. Interdiction de manifester Avenue Bourguiba levée, gouvernement en difficulté

Malgré toutes les formules diplomatiques d’usage de l’habile Samir Dilou


Branle-bas de combat au gouvernement. Un conseil des ministres, convoqué d’urgence, a désavoué le ministre de l’Intérieur : non seulement l’interdiction de manifester Avenue Bourguiba a été levée, mais une commission d’enquête indépendante sera créée afin d’élucider les causes de la violence ayant entaché les marches du 9 avril au centre-ville de Tunis.




 


Les tergiversations gouvernementales des dernières 48 heures en disent long sur l’ampleur de la crise politique qu’il traverse. Les images des violences policières en marge de la fête des martyrs ont fait le tour du monde.


Mardi déjà, nous avions été conviés à une conférence de presse au Palais du gouvernement, annulée au dernier moment, reportée à mercredi. Il se disait dans les couloirs du Premier ministère que le ministre de l’Intérieur comptait nous y présenter les preuves irréfutables de la présence de casseurs aux marches durement réprimées du lundi 9 avril.


C’est finalement aux quelques élus d’opposition qui ont marché symboliquement sur l’Avenue jusque ses bureaux qu’il les montrera hier mardi. Des preuves « présentées par l’équipe technique du ministère », selon le témoignage sceptique de nombre d’élus à la sortie du ministère.


Avec une heure de retard, ce sont pas moins de 3 ministres qui font leur entrée aujourd’hui à 15h00, en compagnie de haut gradés de la police : Samir Dilou, ministre des Droits de l’homme et porte-parole du gouvernement, Ali Laârayedh, ministre de l’Intérieur, et Sihem Badi, ministre de la Femme.


L’ambiance est très tendue. Comme pour apporter une caution supplémentaire à ce qui sera dit, Laârayedh refuse de s’asseoir et reste aux côtés de Dilou. Ce dernier entre dans le vif du sujet : « A l’issue du conseil des ministres dont nous venons de sortir, il a été décidé de revenir sur la décision d’interdire les manifestations Avenue Bourguiba, et de former une commission d’enquête indépendante sur les évènements du 9 avril ».


« Des caméras de vidéo-surveillance seront installées Avenue Bourguiba pour se conformer aux standards internationaux, et les manifestations dans l’Avenue seront strictement encadrées, de sorte à ne pas nuire à la liberté d’autrui », a-t-il ajouté, faisant référence aux plaintes répétées des riverains et des commerçants de cette artère très touristique de la capitale.


Cruciale, la question de la présence de milices n’a été abordée que pour être ni infirmée ni confirmée. Juste laissée aux enquêteurs, avec la promesse d’agir avec fermeté avec les présumés miliciens.


 


Un désaveu pour le ministre de l’Intérieur


Ali Laârayedh a visiblement vécu un moment difficile cet après-midi. Affaibli, le ministre n’a pas échappé à une question sur sa démission. « Je partirai le jour où je sentirai que je suis devenu une partie du problème et non de la solution », a-t-il répété.


Sur le ton de la plaisanterie, il s’était au préalable « excusé d’être là », devant des représentants des médias qui avaient promis la veille de le boycotter dorénavant, en signe de protestation aux violences subies par certains de nos confrères lundi.


Malgré toutes les formules diplomatiques d’usage de l’habile Samir Dilou, Laârayedh sait sans doute que les décisions annoncées aujourd’hui sont un terrible revers pour lui. Dilou n’a convaincu personne en insistant sur le fait que le conseil n’a fait qu’adopter ici des propositions de Laârayedh lui-même.


Celui qui ne cesse de rappeler qu’il est au service de l’Etat et non plus de son parti faisait profil bas aujourd’hui. Il a cependant refusé de s’excuser, préférant s’en tenir à de la « commisération » avec les victimes de violences.


La création même d’une commission d’enquête va à l’encontre de son souhait initial. Au lendemain des incidents du 9 avril, il avait en effet déclaré que son ministère « ne disposait pas de suffisamment d’éléments pour ouvrir une enquête ».


Finalement, nous ne verrons pas les fameuses preuves de la présence de casseurs aux manifs. Motif selon Dilou : « Il s’agit de ne pas se rendre coupables de vouloir orienter ou influencer l’enquête en cours ».


L’histoire retiendra que le ministère de l’Intérieur a fini par plier devant la pression populaire et politique, dynamique révolutionnaire oblige. Ce qui n’est pas pour aider à asseoir l’autorité de l’Etat de droit durant l’état d’urgence toujours en vigueur. Mais c’est la démocratie qui en sort gagnante, la décision initiale du blocus étant illégitime.


Seif Soudani