Tunisie. Le Parti Républicain, rattrapé par le passé du PDP
A peine née, la plus grande coalition d’opposition du pays doit déjà faire face à une crise d’envergure. Alors que tout semblait aller pour le mieux au lendemain du premier acte du 5ème congrès unificateur du Parti Démocratique Progressiste, à Sousse les élections du comité central et du bureau politique de la nouvelle entité ont tourné au vinaigre. Elles se soldent par une ombre au tableau, et pas des moindres : adhésions gelées dans les rangs des ténors du parti, et menaces de départs en masse au sein des Jeunesses du PDP dont nous avons interrogé l’un des frondeurs. (Photo LCDA)
Au terme de trois jours de congrès couronnés par des élections internes, à en croire le communiqué officiel publié par le Parti Républicain, alliance au centre entre plusieurs partis dont le PDP et Afek, l’OPA politique fut une réussite. La fusion est finalisée entre sociaux-démocrates et libéraux qui se sont répartis les postes de responsabilités au sein du PR.
Mais coup de tonnerre, 3 jours plus tard, une liste d’une centaine de JDP démissionnaires circule sur les réseaux sociaux. Elle est précédée par un texte laconique évoquant « des dérives » et « des anomalies » ayant émaillé le congrès. Le texte précise que les signataires, dont des élus du comité central, suspendent leur adhésion au parti pour protester contre « l’absence de réelles réformes », tout en restant flou sur les motifs.
Pour en savoir plus, nous avons contacté Wassim Bouthouri, jeune élu au comité central et auteur du texte en question dont nous découvrons entre temps qu’il est aussi le manifeste d’un mouvement appelé « Mouvement réformateur », sorte de parti dans le parti.
Une gestion clanique
En réalité, si la fronde est partie des jeunes bases militantes du PDP, une crise germée, plus profonde, a éclaté dans la foulée en « division séniors ». Elle oppose le parti à 9 de ses élus à l’Assemblée constituante, non élus au nouveau bureau politique du Parti Républicain. Leur chef de file est Mohamed Hamdi, un homme à qui on n’a visiblement pas pardonné de s’être emparé de la présidence du groupe parlementaire, fort du soutien de ses pairs, éclipsant ainsi le « clan des frères Chebbi ».
Parmi eux des compétences aussi reconnues que Moncef Cheikhrouhou, Mahmoud Baroudi, Mehdi Ben Gharbia, et Mahmoud Smaoui qui ne figurent pas dans les quelques 74 membres du bureau politique. Les 300 membres du comité central incluent en revanche les deux épouses respectives d’Ahmed Néjib et Issam Chebbi, ainsi qu’une dizaine d’autres membres de cette même famille.
Wassim Bouthouri nous confirme que ce népotisme pré et post révolution est bien la source du principal malaise, en ce qu’il contribue à éviter une décentralisation des décisions.
« L’opération du vote pour le comité central fut d’abord opaque et entachée d’irrégularités », déplore le jeune cadre, précisant que « les bulletins ont été dépouillés à huis clos, en la présence du fils d’Ahmed Néjib Chebbi ».
« Nous nous sommes résignés à ne pas protester dans un premier temps, mais lorsque nous avons vu les mêmes anomalies se reproduire pour l’élection du bureau politique, il y a eu un tollé tel qu’il les a obligés à reconduire l’opération du vote une seconde fois. Nous avons été surpris de découvrir que des listes déjà prêtes, numérotées à l’avance avec des noms présélectionnés, circulaient dans la salle juste avant le vote », déclare Bouthouri, suggérant qu’un forcing leur a été imposé et que les dés étaient jetés.
Des divergences idéologiques
Nous lui demandons alors si des raisons plus idéologiques, ayant trait à la fusion elle-même, n’ont pas pu motiver cette scission, AfekTounes étant un parti de centre droit, là où le PDP incarne davantage un centre gauche.
Le jeune militant répond que le problème est ailleurs s’agissant des sensibilités et des courants politiques qui traversent le PDP. Ce qu’il déplore, c’est que son parti a « depuis quelques temps délaissé la cause du nationalisme arabe ». L’ex devise du PDP « Liberté, Identité, Justice sociale » est d’ailleurs reprise par le Mouvement réformateur des dissidents. Une façon de refuser en somme un certain embourgeoisement du PDP.
Il ajoute que « le nouveau positionnement anti Ennahdha » du parti lui pose problème. « Jusqu’ici Ennahdha ne nous semble pas avoir mis en péril les libertés d’aucune façon. Nous rejetons l’idée d’un front anti Ennahdha », conclut-il.
Plusieurs problèmes restent donc en suspens : une frange du PDP, faite notamment de jeunes conservateurs encore empreints de la pensée panarabiste, s’inscrit doublement en porte-à-faux des nouvelles orientations du PR. Là où le parti se gauchise sociétalement (modernisme) et se droitise économiquement (libéralisme), elle se gauchise économiquement et se droitise en matière de nationalisme et d’identité.
En Tunisie, aucun grand parti hors Ennahdha ne semble pouvoir échapper aujourd’hui à des dissensions internes. Plus graves car posant des problèmes de leadership et de clarification idéologique à la fois, celles du Parti Républicain sont un énième défi que devra affronter une opposition qui peine décidément à s’unir, à moins d’un an des législatives.
Seif Soudani