France. M’hammed Henniche : « On ne peut pas tout se permettre pour rester au pouvoir »

 France. M’hammed Henniche : « On ne peut pas tout se permettre pour rester au pouvoir »

« Il y a eu une réelle prise de conscience politique des musulmans qui ont décidé de se rendre aux urnes massivement »


En exclusivité pour Le Courrier de l’Atlas, M’hammed Henniche, président de l’Union des Associations Musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM93), a commenté le rapport d’Amnesty International qui pointe du doigt la stigmatisation de l’islam par les politiques. Il n’a pas caché son inquiétude face à la « droitisation » du discours de Sarkozy et de la montée du Front National.




 


Le Courrier de l’Atlas : Que pensez-vous du rapport d’Amnesty International qui met en avant le rôle des politiques dans les discriminations que subissent les musulmans en Europe ?


M’Hammed Henniche : Ce n’est pas une surprise. Cela confirme ce que l’on pensait, ce que les fidèles nous rapportaient. En 2011 et 2012, les actes contre la communauté musulmane ont grimpé : mosquées vandalisées, cimetières tagués, mais aussi de nombreuses violences à la personne…


Tout a basculé au moment de la loi sur le voile intégral (Burqa). Les musulmans auraient compris que ça puisse gêner et auraient laissé passer s’il n’y avait eu que cette loi. Mais après celle-ci, des dizaines d’autres sont arrivées. Pendant ce temps, le Front National lançait chaque semaine de nouvelles polémiques qui étaient reprises et amplifiées par des membres du gouvernement. L’État et les fonctionnaires publiques sont la source de cette islamophobie.


 


Certains partis politiques abusent-ils des préjugés sur l’islam pour séduire leur électorat ?


Oui, c’est une stratégie. Avant on critiquait l’autre, l’étranger ; désormais, on critique l’islam. Depuis 2010, Nicolas Sarkozy qui s’était pourtant montré très proche des musulmans par le passé, avec notamment la création du CFCM, a décidé d’orchestrer un virage sur sa droite. Mais cette stratégie s’est avérée dangereuse.


Avec toutes les lois émises à l’encontre de notre communauté, certains citoyens viennent à se demander si les musulmans sont des Français à part entière. En insistant sur les « racines chrétiennes » de la France, on remet en cause l’identité nationale. C’est très grave.


 


Depuis le lendemain du premier tour, Nicolas Sarkozy a décidé de « droitiser » son discours pour attirer l’électorat FN. Qu’est-ce que ça vous inspire ?


Je pense que c’est vraiment dangereux pour toute la France. En allant tout à droite, on franchit les lignes orange, les unes après les autres. En continuant dans ce sens, nous ne sommes pas à l’abri d’aller vers l’irrécupérable. Tous les médias ne sont pas anti-Sarkozy, et pourtant ils dénoncent tous ce rapprochement idéologique avec le FN. On ne peut pas tout se permettre pour rester au pouvoir. Si on n’a rien à proposer, on tourne la page et on attend autre chose.


Beaucoup de Maghrébins qui se sentaient à droite depuis les années 90 ne se reconnaissent plus dans le discours actuel. En agissant comme cela, le président sortant s’est mis à dos toute la communauté. Ce n’est pas bien. De mon côté, je pense qu’il faut que la moitié vote à droite et l’autre à gauche pour qu’on soit toujours pris en considération. Quand un parti sait qu’il n’a pas votre adhésion, il ne fait rien pour vous. Quand l’autre sait qu’il vous a dans la poche, il ne fait rien non plus.


Au Raincy aujourd’hui, Sarkozy s’est rapproché du centre en faisant, enfin, référence aux « musulmans normaux », j’espère que ça va continuer.


 


En se comportant ainsi, pensez-vous que l’UMP fait le lit d’un Front National qui n’a jamais été aussi fort ?


En menant une telle campagne, l’UMP légitime le FN à force de draguer son électorat. Il donne du poids à un parti qui a eu 6 millions de voix lors du premier tour. Les partis politiques ont évité tous les sujets de société qui intéressent les Français. À force d’entendre parler d’islam et de mosquées, les gens ont fini par se dire que tous les musulmans étaient comme « ils » le prétendaient.


Sur ce terrain, le FN s’est senti légitimé. L’UMP a récupéré tous ses sujets, le parti extrême s’est retrouvé au centre du débat, alors que ça ne devrait pas être le cas. Il faut trouver une solution pour ce parti. Avec près de 20% aux élections, c’est la démocratie qui est en danger.


 


L’UAM va-t-elle prendre position avant le second tour ?


Certaines mosquées ont appelé à voter Hollande, de notre côté, nous incitons simplement nos compatriotes à aller voter. La seule consigne avant le début du scrutin était « ne pas voter pour les partis extrêmes ».


Nous sommes heureux que la communauté musulmane se soit autant mobilisée pour ce scrutin. Il y a eu une réelle prise de conscience politique des musulmans qui ont décidé de se rendre aux urnes massivement. S’ils gardent cet allant pour les législatives qui vont suivre, je serai confiant pour notre avenir.


Propos recueillis par Jonathan Ardines