François Hollande président, quel impact pour la Tunisie ?
Une élection présidentielle française est toujours vécue comme un évènement en Tunisie. Les raisons sont d’ordre rationnel pour certaines (la France reste le premier partenaire commercial de la Tunisie), d’ordre affectif pour d’autres (francophilie, histoire chargée de passions diverses, relations complexes…). Dans la Tunisie post révolution, l’élection de 2012 revêtait un caractère encore plus particulier. Le président sortant y est plutôt impopulaire. A Tunis, nous avons recueilli quelques témoignages de locaux et de français expatriés. (Photo AFP)
Tunis, dimanche 6 mai, peu avant 19h00 heure locale, le Parti Socialiste a élu QG (officieux) à l’Hôtel Belvédère, au cœur de la capitale, pour célébrer une victoire annoncée. Là, dans une ambiance électrique, une centaine de membres de la communauté française retient son souffle.
Des affiches de François Hollande sont placardées, mais on prend soin d’installer un drapeau tunisien près de l’écran géant. Quelques Tunisiens sont venus communier avec leurs amis français. A l’annonce des résultats, l’explosion de joie générale ne laisse aucun doute quant aux orientations politiques de l’audience.
Martine Vautrin Jedidi, conseillère à l’Assemblée des Français à l’étranger, nous rappelle qu’ « en Tunisie, le vote des français expatriés est traditionnellement à gauche ». Les chiffres qui nous parviennent dans la foulée confortent sans appel sa déclaration. Le taux de participation n’est que d’environ 50%, et le score provisoire de François Hollande dans les bureaux de vote de Tunisie se décline comme suit : Tunis 1-2-3 : plus de 75%, Sousse : 65%, Sfax 1-2 : 68%, Bizerte : 80%.
Le contraste est par exemple saisissant avec les chiffres obtenus par Sarkozy en Israël : 92,80% des 9 451 votes exprimés au premier tour.
Connu pour être proche du PS, Mustapha Ben Jaâfar, président de l’Assemblée constituante et d’Ettakatol (sociaux-démocrates), réagissant sur France 24 à la victoire de Hollande, évoque très vite la question palestinienne, à la surprise de la journaliste qui ne l’avait pas interrogé sur ce volet précis : « Je peux formuler l’espoir qu’avec François Hollande aux commandes, la politique étrangère française sera plus équilibrée, et qu’enfin on assistera à la fin du martyr palestinien avec la reconnaissance d’un état palestinien souverain ».
Quelle perception avait l’opinion tunisienne de Nicolas Sarkozy ?
Très négative. C’est ce qui résumerait en deux mots l’opinion majoritaire chez les Tunisiens vis-à-vis du candidat de l’UMP.
Non seulement l’homme est associé au néoconservatisme, de par ses liens d’amitié avec la droite américaine et son image d’atlantiste invétéré, mais il est aussi pour les Tunisiens l’homme de la stigmatisation des maghrébins de France, étroitement associé à la xénophobie et à la droitisation du discours de la classe dirigeante.
Celle-là même qui en 5 ans, notamment avec le débat sur l’identité nationale, a fait revivre comme jamais le souvenir du colonialisme. D’autant que Sarkozy a voulu à mi-mandat « rappeler les bienfaits de la colonisation ».
Nicolas Sarkozy restera surtout pour les Tunisiens un homme hostile à leur révolution. L’homme des gaffes à répétition, lui et MAM, sa ministre des Affaires étrangères, qui en décembre 2010 avait voulu « envoyer un soutien logistique aux CRS locaux », histoire de mieux mater les mouvements sociaux.
Sarkozy est l’homme de l’UPM aussi, cette Union Pour la Méditerranée, autre fiasco politique, née d’une lecture géopolitique pariant sur des autocrates, Ben Ali et Moubarak en tête, comme alliés viables. L’homme des accolades chaleureuses avec Ben Ali aussi, au nom des intérêts économiques qui avaient supplanté les idéaux universalistes de la France.
Quelles conséquences directes pour la Tunisie ?
Exit donc l’UPM pour l’instant, cette union très politisée, erreur stratégique d’Henri Guaino, plume et idéologue conseiller de l’ex président.
Exit aussi sans doute Boris Boillon, cet ambassadeur de France à Tunis pur produit du sarkozysme, arrogant, au look de golden boy de la finance, méprisant les journalistes locaux, imposé puis maintenu par Sarkozy au mépris de tous.
Exit enfin vraisemblablement une partie de la dette extérieure de la Tunisie. Lors d’une visite fin mai 2011 en Tunisie, François Hollande avait en effet promis que « la dette tunisienne sera convertie sous forme de don par la communauté internationale ». Une proposition qui avait été faite avant le sommet du G8 de Deauville.
Dans sa lettre de félicitations à son nouvel homologue, Moncef Marzouki a dit espérer que l’élection de François Hollande à la magistrature suprême française « redonnera un élan aux relations entre la Tunisie et la France, son premier partenaire. » Une façon de suggérer que sous Sarkozy, les rapports diplomatiques, sans être au point mort à l’image des relations franco-algériennes, avaient été certainement plus tendues qu’on le dit.
Seif Soudani