Tunisie. A Kairouan, le jihadisme enregistre un record de mobilisation

 Tunisie. A Kairouan, le jihadisme enregistre un record de mobilisation

Dimanche


C’est une marée humaine qui a envahi hier dimanche 20 mai l’esplanade de la Grande Mosquée de Kairouan pour le deuxième congrès annuel d’Ansar Charia, l’un des mouvements les plus radicaux de la mouvance salafiste en Tunisie. Le groupe dirigé par le chef du jihadisme tunisien, Abou Iyadh, revendique un record d’audience. Une démonstration de force qui ne semble pas inquiéter outre mesure le gouvernement, pas plus que les affrontements de plus en plus fréquents opposant des groupes religieux au reste de la population aux quatre coins du pays.




 


Des chiffres extravagants circulent dans les milieux islamistes en Tunisie et même dans la presse nationale en guise d’évaluation du nombre de sympathisants qui ont constitué la foule compacte et sonore, en fête et en délire dimanche devant la mosquée historique Oqba Ibn Nafi, pour un rassemblement d’une ampleur inédite à Kairouan.


50 000 pour le journal Attounissia, 15 000 pour d’autres journaux, ils étaient environ 10 000 salafistes selon l’estimation de notre source sur place, une jeune femme originaire de la ville  qui a dû s’affubler d’un niqab pour mieux se confondre avec la foule. 


« La plupart sont arrivés par bus de la capitale et des villes environnantes. Dès la veille, samedi, une voiture munie d’un mégaphone annonçait l’évènement en invitant les habitants à le rejoindre », témoigne la même source qui décrit également une absence totale des forces de l’ordre aux abords de la mosquée, et un service d’ordre conséquent qui installait lui-même les barrières de sécurité.


 


Apologie du djihad


Parmi les « VIP » installés à la tribune, on a pu constater la présence, en plus d’Abou Iyadh qui avait la part du lion des interventions, de Ridha Belhadj porte-parole de Hizb Ettahrir, Moncef Ouerghi, inventeur d’un sport de combat réputé proche des milieux terroristes, et du Cheikh Mokhtar Jebali.


Ce dernier a pris la parole pour faire l’apologie du djihad et souligner qu’il est « une obligation divine pour tout musulman », ce qui correspond mot pour mot à la rhétorique d’Al Qaïda.


Jebali est un cas typique de ces zitouniens qui flirtent avec le salafisme. Il est le fondateur d’une Fédération des associations islamiques tunisiennes, très active depuis quelques mois. Il est aussi l’instigateur de plusieurs manifestations à Tunis en faveur de la constitutionnalisation de la charia, qui à chaque fois virent au discours haineux et à la démonstration de force salafiste.


Un zitounien qui en virant salafiste est plus royaliste que le roi, Abou Iyadh demandant quant à lui de « prouver que sa mouvance est violente », se contentant pour l’instant de vagues menaces si les autorités « continuent dans leur logique de confrontation », comme à l’occasion de l’expulsion récemment de deux prédicateurs intégristes marocains à leur arrivée à l’aéroport Tunis-Carthage.   


Entre deux exaltations d’instincts bellicistes, anti américains et antisémites, on a rendu hommage aux ex prisonniers de Guantanamo également présents, ainsi qu’à ceux qui ont participé à la lutte armée islamiste contre le colonel Kadhafi dans la Libye voisine, tout en exhortant ouvertement des troupes quasiment en transe à la guerre sainte en Syrie.


 


Le spectre d’une guerre civile 


La réunion de Kairouan intervient sur fond de violences multiples mettant aux prises plusieurs localités du pays avec des militants salafistes de plus en plus déterminés à faire régner leur loi.


Dans les faubourgs de Tunis, à la cité défavorisée d’Ettadhamon, des batailles de rue nocturnes opposent des jeunes de quartiers voisins aux jeunes salafistes qui tentent notamment d’y mettre fin à la vente parallèle d’alcool. 


Même scénario à Sousse, à Sfax et à Sidi Bouzid où des salafistes qui rencontrent moins de résistance ont brûlé samedi de petits bars et des dépôts de boissons alcoolisées, déclenchant de violents affrontements avec des bandes rivales, parfois à l’arme blanche.


Quatrième ville sainte de l’islam, la petite ville tranquille de Kairouan était jusqu’ici relativement épargnée par le phénomène salafiste. Séculaire et d’obédience malékite, l’islam qui y prévalait était plutôt modéré, contrairement à celui des nouvellement convertis qui se sont autoproclamés policiers de la vertu au marché de la ville, peu après la révolution. 


Après l’institution de la Zitouna, le Kairouan épicentre islamique devient une cible d’appétits divers, théâtre d’une rivalité entre Ennahdha et le salafisme, Rached Ghannouchi ayant annoncé ce mois-ci son intention de « redorer le blason de la ville » en termes de prestige et d’aura dans le monde musulman.


Filière sous haute surveillance en Occident, le jihadisme ne semble pas être au centre des préoccupations du gouvernement Jebali qui craint d’appliquer une répression qui rappellerait l’ère Ben Ali, même dans une ville aussi touristique, à l’approche de la haute saison.


Regrouper des milliers de personnes dans la rue est un exploit que le plus grand parti d’opposition n’arrive pas à réaliser aujourd’hui. Réunir plus de 10 000 personnes sous la bannière de la haine de l’autre et du djihad, c’est flirter avec les limites de la liberté d’expression. Laisser prospérer pareille mouvance, c’est pour l’actuel gouvernement conservateur hypothéquer l’avenir du pays et négliger la menace qu’il fait peser sur la sûreté nationale.


Seif Soudani