Tunisie. Que cache la liberté de ton des conseillers de la Présidence ?
En une semaine, deux éminents conseillers de la présidence de la République ont asséné coup sur coup deux tribunes extrêmement sévères à l’égard du gouvernement Jebali. Quelle signification donner aux deux sorties, d’une étonnante liberté de ton, respectivement d’Adnene Mnasser et de Mohamed Chawki Abid ? Est-ce le début de la fin de l’entente cordiale entre Moncef Marzouki et le gouvernement islamiste ?
Personnalité relativement discrète, l’apparatchik Adnene Mnasser, 45 ans, agrégé d’histoire et vice-doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, n’est pourtant pas homme à affectionner les coups d’éclat. L’homme est plutôt discret depuis sa nomination au palais de Carthage comme conseiller spécial.
Il y a donc lieu de s’interroger doublement sur ses motivations, lorsqu’il s’exprime forcément en qualité de porte-parole de la présidence de la République, et qu’il formule une critique acerbe contre le « légalisme » dont fait preuve le pouvoir judiciaire, et avec lui le gouvernement, dans le dossier des ex symboles de la corruption dont beaucoup sont en train d’être libérés.
Publié d’abord sur la plateforme de blogging Nawaat, son texte écrit dans un arabe littéraire impeccable a depuis fait le tour du web tunisien.
Mohamed Chawki Abid enfonçait le clou hier jeudi. Celui qui est en charge des affaires économiques à Carthage va plus loin que son homologue dans sa tribune destinée aux réseaux sociaux sur le mode « si j’étais Jebali ».
Epinglé en début de semaine par l’agence de notation Standard and Poor’s pour sa mauvaise gestion de la crise, le gouvernement provisoire est traité dans l’article de Chawki Abid tel un cancre, mauvais élève employant des ministres incompétents et trop nombreux.
L’audace de l’économiste va même jusqu’à proposer une feuille de route au Premier ministre, impliquant une reconfiguration ministérielle.
Le Congrès Pour la République, ou l’éternel parti des « anti »
Quid du devoir de réserve ? La coalition de la troïka au pouvoir est-elle en passe de se défaire sous nos yeux ? Tout se passe en tout cas comme si un Etat dans l’Etat pilonnait désormais un gouvernement dès les premières vulnérabilités détectées. Contre toute attente, la présidence de la République, que d’aucuns donnaient déjà fantoche et sans prérogatives, s’affirme comme contre-pouvoir de propagande, à défaut d’être un contre-pouvoir institutionnel.
Le CPR est-il la bonne clé de lecture de cette fronde ?
S’il devait y avoir un socle commun minimal entre les membres du CPR, parti présidentiel traversé par des idéologies hétérogènes, ce serait l’anti Bénalisme le plus virulent, prêt à toutes les alliances, pourvu que chute la dictature des ex clans. La proximité de l’ancien secrétaire général du CPR Abderraouf Ayadi avec les salafistes en dit long à cet égard.
C’est dire si les bases du CPR sont furieuses depuis la libération controversée d’une figure telle que Kaïs Ben Ali, neveu de l’ex président véritable parrain monastirien, ou encore les acquittements en série de personnalités proches de l’ex régime dans diverses affaires, même s’ils restent en prison.
Fallait-il « donner quelque chose » en direction des militants tentés de partir avec Ayadi dans sa scission ? Il y a lieu de le penser lorsqu’on voit avec quelle régularité le président Marzouki prépare d’ores-et-déjà les présidentielles, multipliant les gestes médiatiques à connotation électoraliste, et envoyant en éclaireur dans les médias un autre fidèle conseiller, Samir Ben Amor.
Si le dossier syrien était sujet à consensus entre le droits-de-l’hommiste Marzouki et les islamistes d’Ennahdha pour des raisons différentes, le pouvoir post Constitution en Tunisie fait l’objet d’une précoce et âpre lutte du chacun pour soi, d’autant qu’Ettakatol, autre membre de la précaire alliance tripartite, enregistre de nouvelles défections (dont celle de l’élu Jamel Gargouri) qui pourraient être fatales à sa pérennité.
Seif Soudani