Tunisie. Les enseignements d’une crise annoncée

 Tunisie. Les enseignements d’une crise annoncée

Un impressionnant dispositif sécuritaire a été déployé pour quadriller la zone du centre-ville. Photo Fethi Belaïd / AFP.


La grande razzia du vendredi n’aura pas lieu. Ainsi en a décidé le « guide » Rached Ghannouchi, ou plutôt ainsi en a décidé son ministre de l’Intérieur. Comment et pourquoi le leader d’Ennahdha est passé en 24 heures d’une volonté de « sauver la révolution » à une nécessité de sauver la face ?




 


Alors que le vendredi 15 juin promettait d’être une journée de toutes les surenchères islamo-salafistes, sorte de paroxysme de l’escalade de la violence au nom de la défense du sacré à laquelle appellent en chœur chefs salafistes d’un côté et Rached Ghannouchi de l’autre, Ali Larayedh, en homme d’Etat, a jeté un pavé dans la mare et mis tout le monde d’accord.


Un bref communiqué du ministère de l’Intérieur tombe l’après-midi de jeudi pour interdire toute manifestation, contraignant Ghannouchi à la mise au point ci-dessus. Il y explique qu’il prend en considération dans sa reculade la nature exceptionnelle du contexte et la mort d’un jeune étudiant à Sousse dans des heurts avec la police.


Aucune mention n’est faite de la responsabilité des salafistes dans les récents actes de violence qui secouent le pays, tous imputés, sans preuves, à des « éléments de l’ex RCD ».


 


Le coming out salafiste de Rached Ghannouchi


L’islamologue Mohamed Talbi le disait il y a quelques mois encore sur le ton de l’avertissement : « Je suis sceptique à l’égard de l’évolution présumée de Rached Ghannouchi. Je suis convaincu que c’est un salafiste ».


Sur le plateau de France Culture, un débat très tendu a opposé jeudi le journaliste Pierre Puchot à l’historienne Sophie Bessis au sujet de la permissivité du gouvernement tunisien. Celle-ci a expliqué que l’actuel leadership d’Ennahdha n’a pas de divergences fondamentales avec le projet de société salafiste, le parti islamiste ayant choisi la voie politique, là où le salafisme djihadiste choisit la violence.


Une autre position consiste à présenter le salafisme comme un épiphénomène, à avancer qu’il ne s’agit que d’une infime minorité, et que sa branche violente ne peut pas réussir en Tunisie. Cette position est partagée par Ali Larayedh. Problème, affirmer le droit des salafistes à s’exprimer dans la sphère publique et s’arrêter là, sans dénoncer l’aspect rétrograde et la violence de l’ascèse et de l’austérité ultra conservatrice qu’ils proposent, cela a permis de banaliser leur discours. Cela a donné lieu à la démonstration de force de Kairouan, annonciatrice de la suite des évènements.


Rached Ghannouchi va quant à lui plus loin qu’un Hamadi Jebali qui, sur le mode de la lapalissade, aime à dire que les salafistes sont aussi « des enfants de la Tunisie ». Il dit clairement dans sa dernière intervention que les salafistes sont une composante essentielle de l’islam politique et qu’il faut les tolérer « au même titre que l’Occident tolère son extrême droite ». D’où l’absence de volonté politique de répression.


Problème là aussi, le salafisme, même sans sa version dite « non violente » n’a pas fait sa réforme, point d’exégèse ni de commentaire des textes sacrés dans cette pensée du retour à un islam originel. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui des fondamentalistes proches de cette mouvance, comme l’imam de la Zitouna Houcine Laâbidi, appellent ouvertement au meurtre des artistes du Palais Abdellia.


 


Le prix de la sécurité


Si les communiqués des chefs de l’ensemble des courants salafistes se sont succédés pour annuler leurs marches respectives du vendredi, la situation n’en reste pas moins problématique et les batailles n’en sont vraisemblablement qu’ajournées.


D’Ansar Al Charia du djihadiste Abou Iyadh à Ridha Belhaj porte-parole de Hizb Ettahrir, tous trahissent d’abord par ce recul stratégique une discipline de groupe, une proximité avec le leadership uni et transversal du cheikh Ghannouchi qui, quand il ne peut influer directement sur les trublions salafistes, jouit de suffisamment de notoriété pour faire aboutir des négociations dans le sens voulu, en invoquant la sagesse religieuse.


Au moment où nous écrivons ces lignes, Tunis est une ville en état de siège. Vers 13h30, peu avant la sortie du bastion de la mosquée Al Fath des troupes galvanisées par un prêche vindicatif, un impressionnant dispositif sécuritaire était déployé pour quadriller la zone du quartier du Passage (centre-ville).


Terrible image, en pleine saison touristique, d’un tank et de blindés en milieu urbain et des brigades entières d’hommes en noir disposés en formation, prêts au combat. Le prix somme toute normal selon Rached Ghannouchi de la coexistence « pacifique » entre le salafisme non violent et ce qu’il appelle « les extrémistes laïques ».


Seif Soudani