Gennevilliers: Les Chibanis du Foyer des Grésillons n’en peuvent plus de leurs conditions de vie
« Ma première demande de logement à Gennevilliers date de 1984 », explique désabusé Messaoud Khlalo, un Algérien de 87 ans. «J’ai cessé de le faire. J’ai lâché l’affaire il y a trois ans », continue celui qui habite cette ville des Hauts-de-Seine depuis 1950. « Après près de 30 ans de refus, j’ai compris qu’ils ne me donneront jamais un logement ». Messaoud a quitté en bateau l’Algérie en 1949 pour Marseille, avant d’atterrir l’année suivante, à Gennevilliers.
Ses premières années dans cette banlieue parisienne sont difficiles. « Je vendais des cigarettes à la sauvette et je dormais dans une cave », se souvient Messaoud. D’hôtel en hôtel, il finit par atterrir en 1985 dans ce foyer Sonacotra situé au 115 avenue des Grésillons, (aujourd’hui appelé Foyer Adoma), croyant alors à une solution temporaire. Il vit toujours dans cette chambre de 12m2 où il paie un loyer de 400 euros mensuels. Marié, papa de six enfants, trois filles et trois garçons, il a vécu toute sa vie seul en France. « J’ai voulu faire venir ma famille ici de nombreuses fois mais je n’avais pas d’endroit pour les loger », explique Messaoud. Après avoir été cantonnier, puis ouvrier chez Citroën, il part à la retraite en 1993 et espère enfin pouvoir avoir une vie familiale normale. En vain. « Aujourd’hui, je ne peux même pas rentrer chez moi en Algérie. Je reste en France à cause de mes problèmes de santé: j’ai un pace-maker, un problème de prostate, du diabète », précise-t-il.
Retour à la case départ
La situation de Saadi Bouaziz, un Marocain de 95 ans, ressemble à celle de Messaoud. Lui aussi n’a jamais vécu dans un appartement décent. Il ne sait ni lire, ni écrire, et a commencé à faire des demandes de logement sur le tard, qu'en 2005. « J’aimerais un studio pour que quelqu’un puisse s’occuper de moi », dit-il tout simplement, en arabe. Saadi souffre d’arthrose et a subi plusieurs opérations mais malgré son âge avancé, il est assez en forme. Si tous les résidents que nous avons rencontrés désirent quitter leur foyer, c’est aussi parce que les conditions de vie à l’intérieur sont dures. « La porte d’entrée est souvent dégradée. On entre ici comme dans un moulin », dénonce Benterki Azib, un Algérien de 77 ans, ancien syndicaliste et l’un des plus anciens du foyer. Il est ici depuis 1976. «Adoma qui gère ce foyer ne fait rien. L’ascenseur est souvent en panne. Imaginez le calvaire pour ceux qui habitent au 13ème étage. De plus, il grince, ce qui nous empêche de dormir. Et je ne vous parle pas de l’invasion des punaises ».
Mais selon Azib, ces problèmes ne datent pas d’hier. « Au début des années 80, on était entassés à quatre dans ses chambres », se souvient Azib. « Les conditions d’hygiène étaient précaires. C’est à ce moment que nous nous sommes mis en grève et que nous avons refusé de payer nos loyers ». Le bras de fer tourne alors à l’avantage des résidents. 3O ans plus tard,ils ont l'impression d'être revenus à la case départ. Et ils ne veulent plus rien demander aux responsables d'Adoma. Pendant un moment, ils ont cru que la mairie de Gennevilliers les aiderait mais aujourd'hui ils disent qu'à « part nous recevoir dans leurs bureaux, ils ne font pas grand chose". "D'ailleurs, ils n'ont aucun intérêt à s’occuper de gens comme nous qui ne votent pas », scandent- ils.
Des accusations que trouve injuste Anne-Laure Perez-Valentin, première adjointe au maire. « Il y a deux ans, on a mené une grosse bataille avec les Chibanis de Gennevilliers. Nous sommes allés devant la préfecture avec eux et devant le siège d’Adoma pour dénoncer les conditions scandaleuses de logement", rappelle-t-elle. "Aujourd’hui, nous détruisons un autre foyer de Gennevilliers, le foyer Brenu pour reconstruire une résidence sociale avec des chambres plus grandes et plus neuves. Et nous nous sommes engagés à ce que tout le monde soit relogé dans du neuf. Pour le foyer des Grésillons, nous souhaitons faire la même chose », continue l'élue. "Gennevilliers concentre 55% des foyers de travailleurs migrants des Hauts-de-Seine…
Si nous les logeons dans le parc social, ADOMA relogera d'autres travailleurs migrants dans les mêmes conditions déplorables. Nous refusons donc de perpétuer ce schéma", précise encore Anne-Laure Perez-Valentin. "Au lieu de cela, nous exigeons la reconstruction en résidence sociale neuve avant de reloger qui que ce soit, sinon il y aura toujours des marchands de sommeil comme ADOMA pour profiter de la précarité et de la misère des gens ». Avant d’avouer : « Notre position est certes plus compliquée à tenir et surtout à comprendre mais elle est au final plus respectueuse des êtres humains ».
Nadir Dendoune