« El Carrière », un des quartiers les plus pauvres d’Alger attend toujours que l’Etat tienne ses promesses
Le 17 avril 2014, Abdelaziz Bouteflika était une nouvelle fois élu président de la République. Un an après son élection, nous nous sommes rendus dans l’un des quartiers les plus pauvres d’Alger. Reportage à Diar El Kef, ou « El Carrière », comme le surnomment les Algérois (parce qu'il jouxte la Carrière Jaubert), où les habitants attendent toujours que l’Etat tienne ses promesses.
Mohamed Gallez, 61 ans, est tellement connu à « El Carrière » qu’il est presque impossible d’avoir un échange avec lui plus de trois minutes sans être interrompu. Serrages de mains, embrassades, Mohamed s’arrête tout le temps. Les jeunes le considèrent comme un deuxième papa et beaucoup viennent le voir pour lui demander des conseils.
Mohamed habite ici depuis près de 20 ans. Il a gagné la confiance des habitants parce qu’il ne cesse de se battre pour le quartier. Papa de trois enfants mariés et trois fois grand père, il a travaillé 18 ans comme chef de projet à la Carrière Jaubert. Avant ça, comme beaucoup, il est parti en France tenter sa chance. Huit années de galère, sans papiers et « obligé de vendre du shit pour survivre », comme il le raconte. Expulsé, il est revenu à Alger « déprimé », mais il s’est battu pour offrir aux siens une vie meilleure. Aujourd’hui, il lutte pour que l’Etat tienne ses promesses.
« C’est un endroit laissé à l’abandon et très difficile d’accès. Il vaut mieux avoir une voiture quand tu vis ici », explique désabusé Mohamed. Construit en 1957, El Carrière est aujourd’hui un ghetto. Sur les hauteurs de Bab El Oued, dominant le quartier Triolet, siège cette cité populaire voisine de la Carrière Jaubert. C’est l’un des endroits les plus sinistrés d’Alger. D’ailleurs, Diar El Kef porte bien son nom puisque cela signifie « la cité du précipice ».
Les habitants comparent leur logement à des cellules de prison. Des appartements de 13m2, « une pièce pour manger, dormir et chier », comme le scandent plusieurs locataires, totalement délabrés, où des familles s’entassent à dix, vivant donc dans une promiscuité affolante. « Les morts dans le cimetière sont mieux lotis que nous », raille même l’un d’entre eux.
"A Carrières c'est l'anarchie totale"
En 2011, un après les émeutes qui ont émaillé le quartier, où un jeune de 17 ans, décédait d’une balle dans la tête, victime d’une bavure policière, les autorités publiques ont demandé aux habitants de quitter certains des immeubles les plus délabrés pour reconstruire. Depuis quatre ans, les habitants attendent désespérément qu’ils viennent rénover.
« Mon immeuble n’a pas été vidé mais celui d’en face oui. Mais au lieu de fermer les appartements, ils les ont laissés ouverts. Résultat : c’est devenu un grand squat », se désole encore Mohamed. « Des gens de toute l’Algérie sont venus vivre ici. Ils ne paient pas de loyer, ils ont trouvé des systèmes pour avoir l’électricité gratuitement. A Carrières, c’est l’anarchie totale ! Et ce n’est pas prêt de changer puisque personne a intérêt à réclamer quoi que ce soit à l’Etat », relate encore le retraité. Mohamed raconte que la nuit tombée, « les bandits font ce qu’ils veulent, empêchant tout le monde de dormir ». « C’est comme la Colombie ici : les gens se battent à coups de sabres, d’harpons ». Drogue, prostitution, crimes en tout genre, sont selon lui, légion à Carrières.
Quand il n’est pas chez lui à s’occuper de son petit fils, Mohamed est au café. Un vieux rade où tous les jeunes sans emploi essaient de tuer le temps. « Le seul endroit de socialisation à Carrières », précise Mohamed. « Il n’y a pas de salle de quartier ici. Pas de restaurant. La poste ou la banque sont très loin. Le maire est passé il y a un an quelques minutes puis est reparti sans rien dire. Oui, nous sommes les exclus d’Alger. Même les médias ne viennent pas nous voir, c’est dire ! ».
"Eux ils vivent la belle vie"
Derrière les immeubles, un peu à l’écart, des habitants sont là à discuter. « Normalement, en 2015, un endroit comme Carrières ne devrait pas exister, peste Samir, 39 ans, agent de sécurité dans un centre d'apprentissage. L’Algérie est un pays très riche. C’est une honte pour le gouvernement algérien », nous dit-il en . Né à Carrière, cela fait plus de quinze ans qu’il demande un logement loin du quartier. « Bouteflika avait promis un logement à chaque Algérien de plus de 30 ans. On attend toujours ». Malgré son désespoir, Samir sait qu’il n’est pas le plus mal loti. « Regardez ces jeunes là-bas. Eux, ils n’ont rien », pointant du doigt, une petite bande se trouvant à quelques mètres de là. Sofiane 25 ans, officiellement au chômage, ne touche pas, comme tous les Algériens sans emploi, d’allocations. «Je suis obligé de bricoler », explique-t-il.
Sofiane, qui a perdu sa mère il y a 6 mois et qui vit avec ses deux frères et sa sœur, dit qu’il ne peut pas bouger du quartier à cause d’un mandat d'arrêt établi à son encontre. « J’ai écopé d’une peine de prison d'un an pour des bêtises de jeunesse. C’était il y a près de cinq ans. Je n’ai pas envie d’aller en prison », raconte-il. Avant de dénoncer : « Moi, j’ai été obligé de voler pour manger mais les vrais délinquants, ce sont les membres du gouvernement. Eux, passent leur temps à voler le peuple et pourtant ils vivent la belle vie ».
Un peu plus loin, Hamza, 27ans. Diplômé en sciences politiques, il tient un petit bureau de tabac. « Sans la carte militaire, je ne peux pas travailler. Et pour rien au monde, j’irai servir pour l’Etat algérien ». « Et puis, de toute manière, quand tu dis que tu viens de ce quartier, tu es presque sûr de ne pas trouver d’emploi », explique accablé Hamza.
Il est 14h et nous retrouvons Mohamed Gallez. Il se rend à la seule sandwicherie du quartier « Chez Rachid Fast-Food », qui a pour spécialité, « frites merguez, omelette, Boulette de viande hachée et quarantetta, un plat local, à base de purée de poids chiches ».
La boutique est tenue par un certain Rachid donc, quadragénaire, papa de 3 enfants, « un quatrième est en route », nous apprend-t-il avec le sourire. « Avant, y avait du monde, ça marchait plutôt bien », raconte le jeune homme. « Avec 500 dinars (35 euros) de bénéfice par jour, je ne sais toujours pas pourquoi je continue à ouvrir le magasin».
Rachid ferme tous les jours vers 17h puis se rend directement à son deuxième travail. Il est électricien. « Même en cumulant les deux jobs, j’ai du mal à finir les mois ». « Je vais vous le dire comme je le pense mais pour nous, il n’y pas d’Etat en Algérie », conclut Rachid.
Nadir Dendoune