Naufrage en méditerranée. « Les pays européens créent cette route de mort et ils le savent »
800 morts. Le chiffre officiel du nombre de victimes lors du naufrage qui a eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche (19 avril) près des côtes libyennes en Méditerranée. Ce problème sur lequel les états de l'Union européenne fermaient les yeux, laissant l'Italie se « débrouiller » aux portes de l'Europe, vient s'imposer à eux de façon terrible.
LCDL : La situation perdure depuis plusieurs années en méditerranée, le nombre de morts augmente. Qui est responsable ?
Fernanda Marucchelli : La situation géopolitique mondiale est complexe : Syrie, Nigeria, Érythrée… des gens ont des projets migratoires. La politique européenne empêchant les gens de passer cause ces drames-là.
En dépit des larmes de crocodile des états membres et du conseil européen de jeudi prochain [23 avril, ndlr], parmi les propositions nous retrouvons toujours plus de surveillance en Méditerranée. Pourtant tout ce qu'il se passe montre que malgré la militarisation des côtes avec Frontex, les gens partent.
Cibler les passeurs est-il la bonne solution ?
Pour se dédouaner, ils [les gouvernements européens, ndlr] parlent des passeurs. Parmi ses passeurs, il y a des organisations structurées mais les voyages peuvent aussi être organisés par des gens ayant acquis une expérience, donc plutôt artisanal. S'il existe des passeurs c'est aussi à cause de la politique migratoire.
Nous avons un désastre et l'Union européenne fait des appels à une répression encore plus accrue du trafic des migrants. En faisant ce raisonnement là, ils renversent les liens de causalité. Les contrôles frontaliers forcent les migrants à emprunter des routes migratoires plus dangereuses.
La mission de Frontex va-t-elle changer pour aller vers plus de secours ?
Selon les déclarations du directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, ils s'orientent vers plus de répression plutôt qu'une action de secours. Leur mission n'est pas « veiller sur » mais « surveiller ». Nos impôts servent à ça. Avec Mare Nostrum, les navires allaient jusqu'à 170 miles des côtes italiennes, donc quasi aux abords des côtes de la Libye… Avec Triton [dispositif ayant pris le relais de Mare Nostrum, ndlr] c'est juste à 30 miles, l'objectif est la surveillance. Pour être dans la politique de secours, il faudrait peut-être être plus révolutionnaire et changer la politique des visas. La non-obtention des visas pousse également les gens sur des routes dangereuses.
Dans quelle mesure la politique européenne de migration doit-elle changer ?
L'association et moi-même, sommes pour la liberté de circulation des êtres humains. Toute cette histoire sur la traite des êtres humains signifie que les gens n'ont pas de volonté de venir, mais sont pris dans des réseaux. Les Etats membres de l'UE font fi du fait que les personnes qui décident de venir en Europe, ont des projets migratoires qui peuvent être l'asile, un projet économique ou autre. Et quoiqu'il arrive ils vont venir. Malgré toute la répression, les accords de réadmission, les accords bilatéraux de l'Europe. Les dirigeants européens devraient repartir de cette réalité : que les gens ont une volonté, des projets. Et un début de solution serait de revoir la politique de délivrance des visas.
C'est une réalité à laquelle nous sommes confrontés tous les jours. Les pays européens se voilent plus que la face, ils créent cette route de mort et ils le savent. Et cette déclaration malheureuse de Hollande, parlant des passeurs comme des terroristes or la réalité des passeurs est très complexe. C'est une manière de dire que nous allons mettre les mêmes moyens que pour lutter contre le terrorisme. Quel impact dans l'imaginaire collectif ? Ce n'est pas une logique d'apaisement de la part de François Hollande, c'est une logique de guerre. La guerre aux migrants.
Quelles actions menez-vous face à ce problème ?
Nous restons très actifs. Nous avons participé au dernier Forum social mondial et nous avons rencontré des familles des disparus en mer. Elles s'organisent que ce soit en Algérie, au Maroc ou en Tunisie. Nous voulons porter cette question. Et nous avons notamment une réflexion sur la création d'un tribunal des peuples pour mettre sur le banc des accusés, l'Union européenne et les politiques migratoires.
Il faut partir des gens eux-mêmes. Il faut rendre un minimum d'humanité à ces corps. C'était des personnes, de chair et d'os, qui avaient des projets, qui pensaient. L'UE doit éviter de nouvelles morts et établir une liberté de circulation en méditerranée.
Propos recueillis par F. Duhamel
Fernanda Marucchelli participera à la projection-débat du film « Les Messagers » concernant la migration en méditerranée. Le thème du débat sera « Frontex et les droits des migrant.e.s en mer ».
Cinéma Espace Saint-Michel (Paris Vème), 19h30.