Béji Caïd Essebsi aux Etats-Unis : une entame de visite controversée

 Béji Caïd Essebsi aux Etats-Unis : une entame de visite controversée

Mohsen Marzouk


Le 20 mai, le président de la République Béji Caïd Essebsi s’est envolé à destination des Etats-Unis pour une visite officielle de trois jours. Avant d’entamer les rencontres de plus haut niveau avec Barack Obama, il a d’abord, comme le veut la tradition, donné des speech devant quelques think tanks américains et rencontré le ministre chargé du « Department of State » (Affaires étrangères). Une première étape déjà émaillée de couacs protocolaires qui font massivement réagir classe politique et blogosphère.




 


Depuis son investiture, les détracteurs de Béji Caïd Essebsi reprochent à ses conseillers une certaine « hyper communication » faite d’emphase et de grandiloquence. Le déplacement actuel aux Etats-Unis n’a pas dérogé à cette règle. Dans un style très « Air Force One », les derniers préparatifs à l’intérieur de l’avion présidentiel ont ainsi été méticuleusement filmés et publiés sur les réseaux sociaux, avec une pléthore de drapeaux nationaux encadrant un « président actif et patriote ».


La veille du voyage, pour signifier qu’il prend soin de consulter ses « partenaires au pouvoir » (comme il aime à les appeler pour les distinguer des alliés) avant les grands rendez-vous politiques, le président avait reçu Rached Ghannouchi. Selon la même démarche, il a été décidé que des représentants des quatre partis de la coalition gouvernementale soient symboliquement du voyage, notamment les élus Riadh Mouaker d’Afek tounes et Oussema Sghaier d’Ennahdha.


Ce dernier assistera, impuissant, à une scène pour le moins surprenante, dès l’arrivée de la délégation tunisienne…


 


Quelques ratés protocolaires ?


Devant de hauts dignitaires US, accompagnés par l’homme d’affaires George Soros, Béji Caïd Essebsi déclarera : « Actuellement nous avons quelques retards, parce que comme vous le savez, nous avions jusque-là un gouvernement composé par ce qu’on appelle la troïka, c’est-à-dire dirigé par un parti à référence (sic) islamique… D’ailleurs je vous invite à faire la différence entre islamique (sic) et musulman. Islamique, c’est un mouvement politique qui instrumentalise la religion musulmane pour des objectifs de pouvoir, et en utilisant la violence. »


De quoi Béji Caïd Essebsi parlait-il au juste ? Il y a lieu de se le demander, surtout avec tant d’approximations linguistiques (« islamique » pour « islamiste », « référence » pour « référentiel », etc.) et en présence d’un élu Ennahdha incrédule. Si le président parle des partenaires de Nidaa Tounes, en l’occurrence Ennahdha, nous sommes face à une faute politique, un incident documenté qui ne manquera pas de faire des remous au sein des partis coalisés.


Mais la maladresse la plus polémique a consisté en la signature mercredi d’un programme de coopération avec John Kerry, par le conseiller politique du président, Mohsen Marzouk, futur homme fort de Nidaa Tounes. Dans la classe politique, plusieurs voix se sont élevées le même jour pour dénoncer une grave entrave, « choquante » pour Issam Chebbi, cette possibilité étant inexistante selon l’ex conseiller présidentiel Adnène Mansar.


Celui-ci explique qu’aucune disposition légale ou protocolaire n’autorise un conseiller à apposer sa signature sur de tels traités, même en l’absence du ministre des Affaires étrangères Taieb Baccouche (absence elle-même objet de diverses spéculations), normalement palliée par son secrétaire d’Etat (Mohamed Ezzine Chelaifa ) ou un autre membre du gouvernement.


« Pour quelle raison la présidence de la république publie-t-elle ces photos du moment qu'elle ne réagisse même pas par rapport aux questions et aux réflexions des internautes ? », peut-on lire sur la page officielle de la présidence.


 


Une conception archaïque des droits humains


A l’issue de son speech inaugural devant le United States Institute of Peace, durant lequel il a déclaré vouloir parler l’arabe « parce que c’est la langue de mon pays », Béji Caïd Essebsi fut invité à donner sa position par rapport à la justice transitionnelle en Tunisie.


« I’m not against », répond-il dans un anglais bancal, avant de poursuivre dans la langue de Shakespeare que « ces gens-là (les parties concernées par la justice transitionnelle, ndlr) doivent savoir que la situation est compliquée. Oui, nous devons défendre les droits de l’homme, mais nous avons des gens qui ont faim, qui sont très pauvres, qui n’ont pas de travail, je pense que c’est prioritaire ».


En visite en Tunisie en 2003, l’ancien président français Jacques Chirac avait choqué l’opinion publique internationale en déclarant, dans le même ordre d’idées, que « le premier des droits de l'homme c'est manger, être soigné, recevoir une éducation et avoir un habitat. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays »…


 


 S.S