La musique pour résister

 La musique pour résister

PHOTO D’ILLUSTRATION / ANWAR AMRO / AFP


 


C’est un couple de Français venus spécialement de Lyon. Le petit dernier sur les épaules, l’époux prévenant a aussi une main posée sur l’épaule de sa douce moitié. Les percussions endiablées des Ahwach d’Ait Baamrane rendent la discussion difficile. 


 


Pourtant, à force de sourires entendus, d’une gestuelle spontanée, ces étrangers contredisant la Fontaine « Peu de nos chants, peu de nos Vers, Par un encens flatteur amusent l’Univers, Et se font écouter des nations étranges » (le Renard anglais), expliquent, avec une pointe d’émotion dans la voix, qu’ils étaient là pour partager un moment de musique dans la jovialité, certes, mais que leur présence à Agadir, au sein de cette foule qui se pressait à la place El Amal était aussi pour eux, une manière de dire non à la stigmatisation des pays arabes ; de montrer qu’un pays musulman n’était pas forcément un repaire de terroristes en burqa et qu’il n’y avait aucune peur à jouer les touristes dans une zone estivale malgré les peurs réelles et supposées que suscite une actualité sanglante.


 


Sans avoir particulièrement le rythme dans la peau, la présence de ce couple de français et bien d’autres nationalités mêlées dans une atmosphère bigarrée aux population locales venues goûter aux rythmes musicaux variés du festival Timitar, est un pied de nez aux alertes anxiogènes des médias et des recommandations gênées des chancelleries conseillant à leurs ressortissants de s’abstenir d’aller dans les pays arabes.


 


Attentats de Tunisie oblige, le prétexte est tout trouvé, même si comparaison n’est pas raison et même si le Maroc a réussi jusqu’à présent à échapper à la « Daechisation » de la vie publique, malgré quelques signes sporadiques menés de temps à autres par des bigots politiques en mal de publicité.


 


Ironie du sort, c’est bien à quelques encablures de la place El Amal que « conservateurs et modernistes » ont croisé le fer sur fond de légitimité ou pas de la longueur d’une jupe dans la petite localité d’Inezgane.Une histoire banale d’harcèlement sexuel vite transformée en affaire d’état et montée en épingle par des médias en manque de scoops.


 


Une guéguerre menée d’une part par les deux pelés et trois tondus de la laïcité, défenseurs d’une modernité en « danger de mort » et d’autre part, par une minorité de bigôts à la vertu douteuse et qui démontrent de par leur bêtise qu’ils ont, en fait  beaucoup plus de difficultés à accepter les autres, parce qu’ils ont de grosses difficultés à s’accepter tels qu’ils sont.


 


Or de quoi Timitar, est-il le symbole ? Pour cette édition, « il s’agit d’une continuité née de la volonté de faire vibrer l’espace de quelques jours la ville d'Agadir et d’en faire le symbole, le temps du festival, de valeurs de tolérance et de respect des différences ».


 


L’événement prend une tournure particulière avec les menaces de plus en plus précises de la nébuleuse terroriste. Organiser un événement de cette ampleur en ces temps incertains est non seulement un acte militant mais c’est aussi un message fort que l’on oppose aux extrémistes de tout bord, pour qui la musique, la culture, inventions diaboliques de l’occident impie ne sauraient avoir droit de cité dans un pays musulman. Aujourd'hui, ces manifestions culturelles prennent la forme d'un combat sans merci contre le terrorisme, contre toute forme d’intolérance, un combat malheureusement plus que jamais d'actualité eu égard aux menaces directes émanant des fous de Baghdadi qui a fait de la guerre contre la modernité son principal fonds de commerce.


 


Choisir les concerts de musique, la culture pour combattre l’extrémisme ? Certes, les organisateurs ne formulent pas leur programmation en ces termes, mais il est clair que la musique reste un très beau moyen de résistance, une arme bien plus plus forte que la haine. Ce n'est ni un message de peur ni un signe de panique mais une note d'espoir et de vie dans un monde arabe qui a perdu ses repères.


 


Cerise sur le gâteau, la capitale du Souss qui accueille les musiques amazighes à l'honneur, fait redécouvrir des chants et des danses ancestrales qui font toute la beauté de la culture berbère, qui représente en réalité une culture du partage dans ces moments de communion collective si chers aux populations du sud.


 


Abdellatif El Azizi