Leçons d’une mobilisation en demi-teinte

 Leçons d’une mobilisation en demi-teinte

Vue du dessus de l’Avenue Bourguiba


Ils n’étaient finalement pas plus d’un millier de Tunisiens à manifester samedi, quadrillés par les forces de l’ordre, contre le projet de loi présidentiel d'amnistie des crimes et délits de corruption liés à l’ancien régime. Echec pour les uns, relative réussite civique pour les autres, les trois marches distinctes du 12 septembre étaient surtout riches en enseignements sur l’état d’émiettement de la classe politique tunisienne.




 


Solidaires, d’autres régions ont aussi manifesté quasi simultanément, comme à Gafsa où l’élu Ammar Amroussia nous a confié sur le ton de l’ironie : « Nous avons marché sur le centre-ville et je peux vous assurer qu’il n’y avait aucune voiture piégée… », allusion aux menaces dont fait état régulièrement le ministère de l’Intérieur pour justifier le bien-fondé du maintien de l’état d’urgence.


A Tunis, nous nous sommes entretenus avec Salma Baccar (parti al Massar) : « Nous comptons défiler en début d’après-midi avec le Front Populaire, nous serons suivis par les ONG, puis par des gens avec lesquels je tiens à dire que nous n’avons rien à voir ». L’ancienne élue de la constituante vise par ses propos les deux partis de l’ex troïka, Ettakatol et le CPR, des formations qui quant à elles n’ont pourtant pas émis de véto à manifester aux-côtés d’autres forces dont al Jomhouri.


« Il n’y a que dans les pays du tiers-monde qu’on se préoccupe davantage d’avec qui manifeste-t-on que de la cause pour laquelle on manifeste », pouvait-on lire aujourd’hui sur les réseaux sociaux, critiques à l’égard des « chamailleries » et autres vieux contentieux entre partis modernistes éradicateurs, et partis modernistes tolérants de l’islam politique.


Outre cet encadrement par les partis, accusés par certains d’avoir dénaturé l’esprit de la marche en lui enlevant son caractère spontané et citoyen, d’autres voix s’élèvent pour dénoncer l’attitude partisane de quelques manifestants qui ont profité de la mobilisation pour lever des slogans spécifiquement anti Ennahdha et Frères musulmans.


Le « hors-sujet » peut paraître d’autant plus injustifié que selon plusieurs sources proches du parti islamiste, ce dernier temporise justement dans l’attente d’une plus grande mobilisation populaire, afin de peser sur la coalition gouvernementale et tenter de la persuader de retirer le projet de loi.


Au final, c’est donc une Avenue Habib Bourguiba relativement parsemée qu’a donné à voir la marche fragmentée de samedi, quoique « les causes justes » ne sauraient être jugées à l’aune des chiffres, surtout que la campagne « Non, je ne pardonnerai pas », en plein essor, se constitue encore une identité propre autour de la force du « Non », désormais mis en avant, et que la loi en question est encore au stade de projet.


Dernière fausse note au regard d’une partie de l’opinion, le ministre de l’Intérieur Najem Gharsalli est descendu en personne de ses bureaux saluer l’important dispositif policier mis en place : « comble de récupération politique » pour ceux qui boycottaient la marche en raison notamment de la participation sous forme d’opération com’ de certains sympathisants Nidaa Tounes, qui se prévalaient d’avoir protégé la liberté constitutionnelle de manifester.


 


 Seif Soudani