« Dans ce climat de suspicion généralisée, cela peut arriver à tout le monde », Maître Faryssy avocat du non-voyant assigné à résidence pour s’être rasé la barbe
Maître Faryssy est avocat au barreau d’Avignon. C’est lui qui est en charge de défendre Daoud, un jeune non-voyant de 21 ans, soupçonné de radicalisation, voire d'avoir voulu projeter un attentat, comme l'a déclaré Daoud à nos confrères de Beur FM, et ce, depuis qu’il a décidé de "raser sa barbe" un vendredi 13 novembre. Il aurait été dénoncé par l'une de ses voisines.
Dans la nuit de dimanche à lundi (16 novembre), la police a débarqué à une heure du matin chez lui en nombre, retournant son appartement, à la recherche de "preuves". Après 48h de garde à vue, le voici assigné à résidence et doit pointer désormais au commissariat d’Avignon trois fois par jour. Atteint d’une cécité totale, il ne peut pas conduire et doit donc trouver quelqu’un pour l’emmener au poste de police. Livré à la vindicte populaire depuis que son nom et sa photo se sont retrouvés dans les médias locaux, nombreux sont ceux qui lui ont tourné le dos.
Retour sur cette affaire kafkaienne avec Maître Faryssy que Le Courrier de l'Atlas a contacté par téléphone. Dans un climat général de suspicion aiguë où ont déjà eu lieu sur le territoire national plus de 1300 perquisitions en 10 jours et où de nombreux dérapages policiers ont été constatés…
LCDL : C’est une affaire ubuesque….
Maître Faryssy : Effectivement, je n’ai jamais vu ça. En onze de métier, c’est la première fois que je suis confronté à un pareil cas.
Qu’on reproche-t-on à Daoud ?
Aucun fait précis. Déjà, et vous n’allez sans doute pas le croire, on lui reproche d’avoir rasé sa barbe un certain vendredi 13 novembre, jour des attentats…Une de ses voisines l'aurait dénoncé à la police. En 39-45 elle aurait sans doute dénoncé les Juifs… Ensuite, on trouve suspect le fait qu’il se soit rendu à Bruxelles le 22 octobre dernier. Daoud est originaire de Lille, (il vit à Avignon depuis 1 an et demi) et il est juste parti faire un tour à Bruxelles. Seul problème: Bruxelles se trouve à 5 kilomètres de Mollenbeck, petite ville tristement célèbre parce qu'elle « abrite un nombre important de djihadistes ». Pour finir, on lui reproche d’avoir en sa possession 5 téléphones portables. Ce sont des vieux modèles tout neuf qui sont encore dans leur emballage et que Daoud n'utlise pas.
Cela suffit donc à l’assigner à résidence ?
Oui. La police prend également pour prétexte le fait que Daoud a prévu de se rendre au Maroc pour des vacances pour l'assigner à résidence. Donc, il est obligé aujourd’hui de pointer au commissariat trois fois par jour. Pendant la perquisition ordonnée par le préfet, on lui a pris tous ses appareils électroniques, ceux-là même qui lui facilitaient son quotidien. Comme son Iphone, doté d’un logiciel adapté à son handicap. Sans lui, il ne peut rien faire.
On lui a également confisqué sa carte bleue. Daoud est non-voyant et c'est son seul moyen de paiement. On a dû aller lui faire des courses parce qu'il se retrouve aujourd'hui sans argent.
Les policiers ont aussi retrouvé chez Daoud des livres religieux…
Oui. Le Coran et aussi d'autres livres rassemblant des hadiths. Par contre, ils ont fait l’impasse sur d’autres choses, comme ses ouvrages de littérature française, ou ses CD "musique du monde" …
Etes-vous inquiet pour l'avenir de Daoud ?
Effectivement. Daoud est arrivé dans notre pays mineur, il a suivi une partie de sa scolarité en France mais il a un titre de séjour qu’il renouvelle chaque année. Pour des craintes de question à l’ordre public, nous redoutons que la préfecture ne lui renouvelle plus sa carte de résidence et cela pourrait être la même chose pour l’allocation pour adultes handicapés qu’il perçoit.
Des raisons d'espérer tout de même ?
Oui, bien entendu. J’ai fait une demande en référé de liberté devant le tribunal administratif d’Avignon pour réclamer en premier lieu la suspension de l’assignation à résidence. Nous devrions avoir une réponse sous les 48h. Par ailleurs, une audience est prévue le 17 décembre pour l’annulation pure et simple de l’assignation à résidence. Mon client n'a rien à se reprocher mais son cas nous rappelle qu'aujourd'hui, dans ce climat de suspicion généralisée, cela peut arriver à tout le monde.
Propos recueillis par Nadir Dendoune