Révolte de Kasserine : calme précaire et « mesurettes » gouvernementales
Sfax, Siliana, Mdhilla, Béja, Jendouba, Sidi Bouzid, Kebilli, Redeyef et même Tunis et le Kram… Les émeutes de Kasserine ont rapidement fait tache d’huile en l’espace de 24 heures. Face au raz-de-marée des protestations, le gouvernement tente de contenir la crise en annonçant une série de mesures d’urgence et de promesses via divers mécanismes. Trop peu trop tard, répond déjà la rue.
Le bilan de la nuit d’affrontements de mercredi à jeudi s’élève à 70 blessés dans les rangs des forces de l’ordre, et un mort qui a succombé à ses blessures à Feriana, selon Walid Louguini, porte-parole du ministère de l’Intérieur, qui contacté par le Courrier de l’Atlas assure que « c’est là la preuve de la retenue dont font preuve les forces de l’ordre », tout en réitérant son « soutien aux protestataires qui sont dans leur droit »… Un changement de ton évident, au moment où une partie des syndicats de police fait-elle-même grève autour de revendications économiques et sociales.
Deuxième round de la révolution, cinq ans après ?
Sommes-nous face à un mouvement d’ampleur qui risque de s’étendre et perdurer, sur l’ensemble du territoire national ? Difficile à dire aujourd’hui, même si personne ne remet en question la légitimité de la contestation à Kasserine, la plus importante depuis la révolution, et qui ne surprend qu’à moitié. Les dérives autoritaires et népotiques des nouveaux gouvernants sont en effet légion, du sommet de l’Etat jusqu’au responsables locaux, accusés de favoritisme à l’embauche dans le secteur public.
Mercredi, le conseil des ministres qui a duré cinq longues heures à huis clos a beaucoup promis : 5000 emplois (Kasserine compte au total 40 000 chômeurs), des crédits à volonté à destination des PME agricoles pour étouffer la grogne, 1000 habitations sociales, etc. Le tout annoncé par le porte-parole du gouvernement, Khaled Chouket, qui la veille avait pourtant affirmé que le pouvoir « ne dispose pas d’une baguette magique ».
Problème, si c’est le porte-parole qui annonce ces mesures, c’est parce que le chef du gouvernement Habib Essid est en déplacement en Suisse, pour assister au sommet de Davos… Pour le message de rupture avec les politiques néolibérales, c’est plutôt raté.
En marge d’une conférence de presse organisée à Carthage à l’occasion de la visite du président autrichien, la présidence de la République et le ministère de l’Intérieur ont visiblement harmonisé leur communication : il s’agit de ne surtout pas diaboliser les mouvements de contestation, voire d’afficher une certaine sympathie à leur égard : « Les manifestations des chômeurs sont garanties par la Constitution, et l’Etat doit se porter garant du droit de manifester », a lancé Béji Caïd Essebsi…
En un sens, le mouvement est tellement légitime qu’on ne saurait esquisser la moindre confrontation frontale avec lui, à moins d’y laisser des plumes politiquement. « Essebsi appelle à la chute du régime », ironise un site satirique.
A Cité Ennour et Cité Ezzouhour, les deux plus importants foyers d’affrontements, les « mesurettes » sont prises pour des effets d’annonce et sont loin de faire retomber la tension. A la mi-journée, les échauffourées reprenaient de plus belle. A Tunis, le siège du gouvernorat a été envahi le 20 janvier cette fois par des étudiants de l’UGET réclamant également leur droit à « un emploi par famille ». Au Kram, banlieue nord de la capitale, des pneus ont brûlé toute la nuit et le chaudron du quartier du 5 décembre a été bouclé.
Mais les mêmes réflexes au pouvoir comme dans l’opposition se manifestent à nouveau : à Nidaa Tounes, la tentation est toujours aussi grande de jouer sur la peur, en diabolisant les manifestants associés au terrorisme, ou du moins « faisant le jeu de Daech qui encercle la ville », selon Ikram Moulahi, députée Nidaa de Kasserine.
Dans l’opposition, de nombreux partis se focalisent quant à eux sur la détestation du Front Populaire qu’ils accusent d’attiser les tensions voire de « payer les manifestants », comme s’il n’y avait pas assez de misère à Kasserine pour déclencher un mouvement spontané…
Apprendra-t-on un jour des leçons du passé ?
Seif Soudani