Le culte du Hezbollah ravivé par la décision des pays arabes de le classer comme entité terroriste

 Le culte du Hezbollah ravivé par la décision des pays arabes de le classer comme entité terroriste


Le conseil des ministres arabes de l’Intérieur a adopté lors de sa 33ème session, tenue mercredi 2 mars 2016 à Tunis, une résolution classant le Hezbollah libanais sur la liste noire des organisations terroristes. Tollé dans les milieux nationalistes et gauchistes tunisiens. Décryptage.




 


 


Réunis à Tunis dans le quartier des Berges du Lac bouclé par un imposant dispositif dans le cadre de leur 33ème conseil, les ministres arabes de l’Intérieur ont donc adopté à l’unanimité une décision considérant « le parti Hezbollah libanais «ainsi que l’ensemble de ses leaders et organisations qui lui sont affiliées comme organisation terroriste ».


Selon plusieurs journalistes présents dans l’hôtel abritant la réunion, la Tunisie a bien voté en faveur de la résolution en question, tandis que seul le Liban aurait émis des réserves via son ministre qui s’est abstenu de commenter la décision lors de son speech.


Rappelons que le Conseil de coopération des pays du Golfe (CCPG) avait aussi récemment considéré le parti politique libanais armé comme organisation terroriste.


Un début de cacophonie gouvernementale tunisienne a cependant eu lieu mercredi en début de soirée, lorsque le ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui a laissé entendre, dans une déclaration aux médias, que la Tunisie n’est simplement « pas concernée par cette décision ». Une manière de botter en touche pour des modalités de vote pour lesquels il n’était visiblement pas très au courant.


Le principal intéressé, Hédi Majdoub nouveau ministre de l’Intérieur tunisien, a quant à lui affirmé hier soir que « la Tunisie n’a émis aucune réserve sur la décision du Conseil des ministres arabes de l’Intérieur », une façon de l’approuver donc.


 


Tollé chez une partie de l’opinion


Aussitôt la nouvelle apprise, quelques jeunes pro Bachar al Assad, scandalisés, ont même brièvement manifesté Avecnue Bourguiba, brandissant des drapeaux du régime syrien.


Connue pour son soutien aux dictatures syrienne et égyptienne, l’intellectuelle féministe-nationaliste Olfa Youssef a écrit « Si le Hezbollah est terroriste, alors je porte fièrement la bannière du terrorisme ».


Plus généralement une large partie de la gauche tunisienne, historiquement proche des idées baathistes nationalistes, s’est montrée scandalisée par la décision, au nom de l’anti sionisme. Ettakatol, l’Alliance démocratique, le Mouvement du peuple (nationalisme arabe) et même l’UGTT se sont fendus de communiqués indignés de ce qu’ils considèrent être « le suivisme de la politique étrangère tunisienne ».


Il est vrai qu’en la matière, la politique étrangère tunisienne est peu lisible. Après avoir critiqué pendant de longs mois de campagne électorale la décision de Moncef Marzouki de rompre les relations diplomatiques avec la Syrie du régime génocidaire de Bachar al Assad, une fois élu le président Béji Caïd Essebsi a perdu le soutien des Emirats arabes unis et s’est tourné plus récemment vers un rapprochement avec l’Arabie Saoudite.


Il est donc permis de douter de ses intentions universalistes et éthiques de la classe dirigeante tunisienne d’aujourd’hui, lorsqu’elle s’aligne sur une décision soupçonnée de confessionnalisme, où des pays à majorité sunnite répondent à l’alliance alaouite-chiite, une logique tribale initiée par le régime syrien.    


 


Le Hezbollah et la gloire révolue


Fondé en juin 1982, mais révélé publiquement en février 1985, est un mouvement politique chiite libanais, parfois qualifié de « djihadiste chiite », possédant une branche armée ayant réussi à infliger à Tsahal de lourdes pertes à l’issue de la guerre du Liban de 2006, ayant contraint Israël à se retirer du sud Liban.   


Après ce haut fait de gloire indéniable, l’histoire du Hezbollah fut progressivement moins glorieuse, surtout avec l’éclatement de la révolution puis du conflit syrien dont il est considéré comme l’un des grands perdants.


Le Hezbollah, a en effet pris part au conflit syrien de 2011 – 2012 afin de soutenir le régime chiite – alaouite de Bachar el-Assad. La milice chiite libanaise a envoyé près de 7 000 combattants dans le but de « mater les rebelles sunnites. Le 27 juillet 2012, le quotidien libanais An Nahar rapporte que le Hezbollah a envoyé en Syrie son "unité 910 ", considérée comme une unité de combat d’élite, indiquant que des membres de cette unité combattraient avec l'armée syrienne à Homs et Rastane, mais surtout dans la bataille décisive d’Al-Qusayr qui a permis au régime Al Assad d’avoir un ascendant militaire déterminant. Plusieurs vidéos prises sur le terrain des hostilités attestent de ces opérations.


Grâce à la logistique en provenance d’Iran, le Hezbollah appuie aussi l'armée syrienne loyaliste dans les combats à Alep en lui apportant un précieux soutien opérationnel.


Mais une certaine iconographie romantique, voire érotisée, entretenue notamment par le féminisme arabe autour du Hezbollah est dans le déni de ces exactions commises contre la rébellion et le peuple syrien. Un certain progressisme arabe voit en effet en la milice chiite une alternative aux mouvements armés radicaux sunnites impopulaires parmi la gauche éradicatrice de l’islam politique. Ainsi l’intelligentsia égyptienne n’avait pas réagi par exemple lorsque le Hamas a été déclaré comme organisation terroriste par le régime al Sissi.


Représentant de la communauté syrienne en Tunisie, Omar Shiekh Ibrahim relève ce paradoxe d’une intelligentsia arabe plutôt encline à disculper le Hezbollah et son chef de leur misogynie via un deux poids deux mesures.


L’intense débat autour du Hezbollah a quoi qu’il en soit l’effet d’un révélateur d’une mentalité répandue sur les réseaux sociaux, faite de biais et d’inculture concernant le dossier syrien, voire d’un aveuglement idéologique certain, qui exige qu’on ferme les yeux sur le rôle du Hezbollah auprès d’al Assad, au nom du mythe d’une résistance antisioniste passée quand elle n’est pas fantasmée.


 


Seif Soudani