Bourguiba et les statues de la discorde
Une statue du leader historique tunisien Habib Bourguiba a été fixée dans la nuit de lundi à mardi 15 mars 2016 au carrefour routier faisant face à son ancien palais présidentiel à Skanès (Monastir), en présence d’une foule de curieux plutôt enthousiastes, venus prendre des photos avec leurs téléphones. Pourtant, ailleurs, hors du fief natal de l’ancien « despote éclairé », cette forme de retour du culte de la personnalité est source de malaise.
Restauration de la statue… « restauration » tout court
C’est l’artiste, Ali Bargaoui qui a confirmé au Courrier de l’Atlas qu’il a contribué, à la demande des autorités municipales, à restaurer la statue équestre, faite de bronze, montrant l’ancien Président Bourguiba levant un bras droit victorieux vers le ciel.
Depuis le début de l’année, des rumeurs persistantes faisaient état du retour la statue du « père de la nation » retrouve sa place à l’avenue Habib Bourguiba en plein cœur de la capitale Tunis, et ce à l’occasion du 20 mars, fête de l’indépendance.
On apprend que finalement la statue équestre de Bourguiba installée hier soir à Skanes, à l’entrée de Monastir, n’a rien à voir avec celle de l’avenue Bourguiba, à Tunis, déboulonnée il y a près de 30 ans sur ordre de son successeur Ben Ali pour être déplacée à l’entrée de la Goulette.
Cependant, d’après des sources à la présidence de la République, la statue de la Goulette retrouvera bel et bien sa place initiale à l’Avenue éponyme au centre-ville de Tunis.
Ballon d’essaidestiné à tester la réaction des Tunisiens et l’accueil des riverains ? Il y a tout lieu de le penser, dans la mesure où l’actuel pouvoir ne prend pas beaucoup de risques en restaurant d’abord la statue de Bourguiba à Monastir, vivier de la pensée bourguibiste et d’un certain chauvinisme sahélien, abritant le mausolée du premier président du pays. Quitte à verser dans un certain régionalisme, les décideurs d’aujourd’hui emploient presque cyniquement la fameuse « politique des étapes », l’une des doctrines initiées par Bourguiba lui-même.
« Lorsque l’on a pas de projet politique, les statues sont de sortie », ironise une partie de l’opposition, qui dénonce des relents nostalgiques évidents, en ce temps où l’émoi populaire face aux actes terroristes à répétition rend l'opinion publique particulièrement sensible à la rhétorique du « sauvetage » par le nationalisme et l’identité séculière. De là à accentuer le mimétisme avec la présidence de Béji Caïd Essebsi, il y a un pas que le Palais a déjà franchi.
Selon une source à la présidence de la république, la décision du transfert de cette statue équestre de La Goulette à l’avenue Habib Bourguiba de Tunis a été prise par Béji Caïd Essebsi lui-même, sans se poser la question de ses « prérogatives municipales » en la matière, mais la date de son réinstallation n’aurait pas été encore fixée, ce qui indique une possible hésitation et un report au-delà du 20 mars courant.
La statue installée hier soir avait été vandalisée au lendemain de la révolution et l’armée l’avait récupérée et gardée à l’abri dans une caserne militaire. Elle avait jadis été installée à Kairouan. Selon le député Nidaa Tounes Jalel Ghedira, « la statue était dans un très mauvais état » et sa restauration a coûté pas moins de 180.000 dinars. Un coût exorbitant qui provoque des réactions d’indignation sur la toile ou beaucoup dénoncent une dilapidation des deniers publics en temps de crise.
Pour Mohamed Abbou, chef d’« Attayar » la Place du 14 Janvier, étroitement liée depuis 5 ans à la révolution, « doit être réservée à un autre monument qui rappelle la fin de la dictature ».
S.S