[Interview] L’irrésistible ascension de France 24 en Tunisie

 [Interview] L’irrésistible ascension de France 24 en Tunisie

De gauche à droite : Walid Mejri


France 24 et la télévision publique nationale tunisienne « Watanya 1 » lancent un nouveau magazine mensuel intitulé « Paris Tunis » « Tunis Paris » qui sera diffusé chaque mois sur les deux antennes et tourné alternativement à Tunis et Paris, l’occasion de faire le point sur l’impressionnante progression de la chaîne auprès de son audience tunisienne et plus généralement arabe. Entretien exclusif avec Marc Saïkali, directeur de la chaîne.




 


« C’est le service public, mais nous sommes indépendants… »


Profitant du net recul d’al Jazeera auprès des ménages tunisiens ces dernières années, France 24 a pu aisément percer puis devenir incontournable dans un pays particulièrement friand d’actualités, avec 43,7% d’audience hebdomadaire sur l’ensemble de la population (progression de +32% en 2015). Elle revendique plus de 50 millions de spectateurs par semaine dans le monde.


Fort d’une chaîne arabophone, en sus de ses deux autres chaînes francophone et arabophone, la chaîne info bénéficie de toute la puissance financière du Quai d’Orsay, comme en témoigne son imposant siège central d’Issy-les-Moulineaux, une vraie fourmilière en banlieue parisienne.


Pourtant, son débonnaire directeur dément toute influence sur sa ligne éditoriale. D’origine libanaise, Marc Saïkali, à la tête de la chaîne depuis trois ans, assure d’emblée lors de notre rencontre dans ses bureaux : « Ici vous êtes certes dans une chaîne du service public, mais personne ne nous dicte de ligne éditoriale ».


Ce n’est pas tout à fait l’avis de l’une des responsables de la communication du Quai d’Orsay, qui suggère que la chaîne est de facto liée au ministère, sans être à proprement parler une chaîne gouvernementale. Au-delà des considérables subventions de l’Etat, l’énorme QG et les bureaux à l’étranger de la chaîne sont en soi le témoin du rouleau compresseur de la politique étrangère française.   


Quoi qu’il en soit, Saïkali est fier d’avoir été promu directeur des trois chaînes sous une direction unifiée. « Sur Facebook, nous sommes numéro 1 en France », se prévaut-il, en mentionnant l’équipe en charge des réseaux sociaux.  


Plutôt humble et curieux, il se renseigne auprès de nous à propos des préférences du public tunisien. Interrogé sur les choix des plateaux débat, il affirme que les décisions sont prises en réunion de rédac’ dès la matinée, y compris pour les présentateurs vedettes « qui ne sont pas libres d’inviter qui ils veulent ».


Adjoint au directeur chargé de l'antenne en arabe : Mansour Tiss est quant à lui d’origine tunisienne. Après être passé par la TV nationale tunisienne puis Radio Tataouine, il se retrouve dans le leadership de France 24 peu de temps après son arrivée en France, nous explique-t-il. Modèle d’intégration la chaîne d’info ? Elle se veut en tous les cas cosmopolite, et n’hésite visiblement pas à faire valoir l’importance qu’elle accorde au monde arabe. 


 


Paris-Tunis, un concept test


Diffusée le dernier vendredi de chaque mois à 19h10, cette émission sera co-présentée en direct par le tunisien Taoufik Mjaied (France 24) et Elyes Gharbi (El Wataniya 1).


Autour des deux journalistes, plusieurs invités décrypteront et analyseront les grands sujets qui dominent l’actualité des deux côtés de la Méditerranée.


Pour la première émission, réalisée dans la capitale tunisienne, « Tunis Paris » « Paris Tunis » a accueilli en direct le chef du gouvernement tunisien, Habib Essid pour parler politique et économie, cinq ans après sa révolution.


 


Promouvoir une éthique journalistique


« Tout comme nous avons des guidelines strictes sur la base desquelles nous insistons sur l’appellation « Organisation de l’Etat islamique » et non pas « l’Etat islamique », nous appelons aussi les pouvoirs autoritaires « régimes », et non pas « Etats », à l’image de la Syrie où le régime a perpétré autant de crimes que Daech », nous explique-t-on. « Il y a eu des élections en Iran par exemple, nous ne pouvons dès lors pas employer le terme de « régime » pour ce pays ».


Lancée en 2006, la chaîne qui fête bientôt ses 10 ans d’existence est tantôt accusée par des complotistes de soutenir l’islam politique, tantôt accusée de défendre le régime de Bachar… « Signe que nous sommes neutres », ironise son directeur.


 


Seif Soudani