La chronique du Tocard. Bandougou
C’était le genre de mec que tu croyais éternel parce que malgré sa quarantaine bien entamée, il avait gardé son allure de gamin et faisait toujours les mêmes blagues depuis quatre décennies. Il était très marrant au final. A la cité, on a toujours su rire plus que les autres parce qu’on avait plus de raisons d’être triste que le reste du monde.
Bandougou avait la gueule de l’emploi pour que tu puisses l’aimer sans mesure. La nouvelle de sa mort est tombée brutalement ce mardi matin. Encore un autre frangin qui s’en allait. Un de plus, un de trop.
Cette triste nouvelle me faisait mal, très mal, car elle faisait remonter à la surface un tas de souvenirs. Et parce qu' elle éveillait en moi beaucoup de regrets. Les regrets de ne pas avoir passé plus de temps avec lui depuis qu’il avait déménagé au Havre, il y a quelques années.
Bandougou, je le connaissais depuis toujours. Depuis, qu’il habitait dans la même tour que moi, à la Cité Maurice Thorez, lui au 1er étage avec toute sa famille qui venait du Mali. Il avait quatre frangins dont deux du même âge que moi et avec qui je passais beaucoup de mon temps.
Je venais souvent frapper chez eux et leur père qui était très sévère comme tous les papas à l’ancienne ne me faisait jamais entrer à l’intérieur. Je devais toujours attendre plusieurs minutes sur le pallier comme si j’avais fais quelque chose de mal mais je crois qu’il faisait ça juste pour bien montrer qu’il nous avait tous à l’œil.
Il me demandait toujours ce que je voulais parce que c’était pas suffisant pour lui de juste vouloir voir ses mômes, et c’est vrai qu’il avait raison de se méfier de la délinquance qui rôdait dans le quartier.
Comme mon grand frère, il lui arrivait souvent de venir dans le hall, récupérer ses enfants quand ils tardaient à revenir au bercail, alors que la nuit était déjà tombée depuis plusieurs heures. Mais tout comme mon grand frère, le papa de Bandougou ne pouvait rien faire contre la violence de la rue.
On n’avait pas une tune, que dalle, pas d’argent de poche offert par papa-maman, et je vous raconte pas les difficultés pour trouver un job d’été, tandis que nos « frères blancs » n’avaient eux aucun mal à en décrocher un; alors on se débrouillait comme on pouvait pour participer, comme les autres gamins de notre âge, à la grande fête de la consommation.
Mais malgré notre rage contre un système qu’on savait injuste, on était incapable de s’en prendre physiquement aux gens. Les magasins, eux, et leurs assurances contre le vol, n’avaient qu’à bien se tenir.Et ça, ce refus de devenir des « enculés », on l’avait appris tous ensemble, dans un hall d’immeuble où on passait la plupart de notre temps.
Avec Feu Laurent, Rachid, Abdel, Douda, Michel, Yannick, Alain, Carmine, Bandougou et les autres, on avait appris l’humanité dans un endroit pourtant bien hostile. Peu importe d’où l’autre « venait », nous étions tous une seule et même famille. La même couleur, celle de l’amitié entre fils de prolos.
La vie nous avait un peu éloignés les uns des autres, des potes s'étaient mariés, ceux partis vivre ailleurs, mais il nous arrivait parfois, de nous revoir. Bandougou avait déménagé au Havre donc, mais il venait de temps à autre à la cité retrouver ses racines. Un retour aux sources nécessaire et vital comme pour tous les exilés de France et de Navarre.
A chaque nouveau rendez-vous avec l'amitié nous faisions comme si nous ne nous étions jamais quittés. Resurgissaient alors les souvenirs d’enfance, les soirées dansantes à la maison des jeunes, nos premières meufs, nos premiers coups de tête, les bagarres avec les quartiers des villes voisines… Et les colonies de vacances ou les voyages au ski, où nous partions à 12. Nous prenions alors six billets de train, les six autres se cachaient à l’intérieur du compartiment. Les séjours à l’étranger, comme en Allemagne de l’Est. Mémorable…
En apprenant la nouvelle ce mardi matin, j’ai pleuré. Comme beaucoup de ses amis. Je ne connaissais pas quelqu’un qui ne l’aimait pas. Ça dégoulinait de partout ce matin. C'est toute la cité qui le pleurait. Impossible de prononcer une phrase cohérente ou même d'en écrire une.
Puis, j’ai pensé à lui. J’ai regardé quelques photos de Bandougou. Magnifique. Bonne bouille. Le kiff ce mec. On en fait plus des comme lui. Quelqu'un d'exceptionnel nous a quittés.
Il n’a pas eu une vie facile le frangin, c’est vrai. La cité ne fait pas de cadeau. Mais, il n’a jamais cessé de sourire. Je voulais juste lui dire merci, lui avouer que je l’aimais profondément, comme un frangin. Et rappeler ici la chance que j'ai eu de l’avoir connu.
Nadir Dendoune
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