Une crise gouvernementale qui ne dit pas son nom
Plus que les attentats terroristes majeurs, c’est la multiplication des foyers de tensions sociales qui pourrait avoir raison du gouvernement Essid. Kasserine, Ben Guerdane, puis surtout plus récemment la contestation à caractère insurrectionnel dans l’île de Kerkennah… Autant de ratés gouvernementaux qui remettent aujourd’hui en question le bien-fondé de la coalition gouvernementale et aiguisent les appétits de relève. Décryptage.
La révolte des quadras
Premier à sortir de son devoir de réserve, Yassine Brahim, ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale, et derrière lui son « parti de compétences », Afek Tounes. Passablement excédé, le ministre technocrate a confié aux médias nationaux qu’il avait sollicité un remaniement ministériel d’envergure.
Tollé dans sa propre majorité : Brahim ayant précisément signé un code de conduite lors du dernier remaniement, stipulant que l’équipe gouvernementale se doit d’être mutuellement solidaire, le ministre est indirectement rappelé à l’ordre par le chef du gouvernement Habib Essid dans un entretien le lendemain : « ses propos n’engagent que lui ».
En plus de faire désordre, la sortie de Yassine Brahim a laissé des traces. C’est que depuis plusieurs semaines, le fringuant ex PDG laisse entendre qu’il pourrait être l’homme de la situation, « à condition qu’on lui en donne les moyens ».
A 50 ans, il se verrait bien en successeur du favori des sondages Mehdi Jomâa lui aussi technocrate, après une parenthèse politique Essid (Ennahdha / Nidaa) économiquement calamiteuse. Seulement l’homme agace une partie de la classe politique qui voit en son discours d’« Atugien » des grandes écoles une tonalité élitiste encore inaudible, même 5 ans après la révolution.
Branle-bas de combat à Montplaisir
Face au climat délétère post-Kerkennah où l’autorité de l’Etat a essuyé une véritable humiliation, Ennahdha, a réagi lundi, en « convoquant » son bien mal en point allié Nidaa Tounes. Cela n’est pas passé inaperçu. Signe que le parti islamiste est en position de force politique et numérique à l’Assemblée, c’est lui qui recevait lundi soir 18 avril la délégation emmenée par Hafedh Caïd Essebsi. Signe aussi que le moment est éminemment politique, les deux chefs des bureaux respectifs des deux partis étaient présents.
L’initiative est symbolique à plus d’un titre. Ennahdha et Nidaa prennent d’abord acte de la quasi dissolution programmée de l’UPL, l’autre parti coalisé empêtré dans sa propre crise, déserté par plusieurs cadres et élus. Ils mettent hors-jeu par la même occasion le quatrième parti « mineur » du quartette au pouvoir, Afek.
Il s’agit ensuite pour Ennahdha, jusqu’ici discret « géant castré », de reprendre les choses en main face aux bruits de couloir persistants à l’Assemblée de refonte des groupes parlementaires.
Ce n’est en effet plus un secret pour personne quela faction dissidente de Nidaa, 3ème bloc parlementaire renommé al Horra, la droite la plus viscéralement hostile à l’islam politique, est en pourparlers avec l’ensemble des grands groupes hors Ennahdha, en vue d’un rééquilibrage des forces politiques qui remettrait Ennahdha en position de deuxième bloc. Les deux titans se serrent donc les coudes pour éviter ce scénario.
Si l’on passe ainsi de facto du statut de coalition formelle à une alliance idéologique conservatrice plus solide, d’un point de vue politique les deux têtes du législatif / exécutif sont paradoxalement fragilisées, dans une forme de déni de la crise profonde qui les secoue. En tombant d’accord sur un traitement obstinément sécuritaire des mouvements sociaux, ils rappellent de plus en plus à l’opinion publique une situation d’impasse qui avait jadis mené l’ancien régime à sa perte.
S.S