Sacre de Rached Ghannouchi au 10ème congrès d’Ennahdha : une mutation dans la continuité

 Sacre de Rached Ghannouchi au 10ème congrès d’Ennahdha : une mutation dans la continuité

Image forte des résultats du congrès : l’accolade émue entre Ghannouchi et Jelassi


C’est tard dans la nuit du dimanche 22 au lundi 23 mai 2016 que les résultats du vote des congressistes pour l’élection du président d’Ennahdha sont tombés à Hammamet. Sans grande surprise, vers 4h du matin, l’information est annoncée à des journalistes exténués par 3 jours de congrès, Rached Ghannouchi est réélu avec 75,6% des suffrages à la tête du mouvement pour un nouveau mandat de 5 ans.


Avec 800 voix tout rond, Rached Ghannouchi se succède donc à lui-même en tant que chef d’Ennahdha alors que Fethi Ayadi, numéro 2 du parti, obtient 229 voix et Mohamed Akrout n’obtient que 29 voix. Une victoire auréolée d’une très confortable majorité qui lui permet d’assoir son pouvoir, sans score réellement indécent pour autant.


Cinq autres candidats étaient en lice : le radical Habib Ellouze, l’ancien démissionnaire Abdelhamid Jelassi, la valeur montante et ex ministre de la santé Abdelatif Mekki, le très modéré actuel vice-président de l’Assemblée du peuple Abdelfatteh Mourou, et Abdelhamid Najar.


Quant au conseil de la Choura, plus haute instance du parti et dont le nom devrait changer en adéquation avec la sécularisation du parti, il a également vu sa composition renouvelée via un vote spécifique. Le nombre de candidats aux élections ce conseil a atteint les 600 congressistes.


 


Une démocratisation perfectible en interne


Tout ne fut pas une ballade de santé cependant pour le président sortant. Le cadre d’Ennahdha ancien ministre de l’Agriculture Mohamed Ben Salem a en effet déclaré dimanche que Rached Ghannouchi a soutenu l’option de la nomination du nouveau président par le chef du bureau politique, en lieu et place des élections.


Trois options ont par ailleurs été envisagées pour l’élection du bureau exécutif : directement par les congressistes, adoption du bureau exécutif par le conseil de la Choura après proposition du président du mouvement, ou encore la fusion entre la formule de l’élection et la proposition.


Selon le député Oussama Sghaier, le vote a donné une majorité de 58% en faveur de l’adoption du bureau exécutif par le conseil de la Choura après proposition du président du mouvement.


Au chapitre des bémols, l’opinion publique a retenu l’absence remarquée de l’ancien président de la République d’hier Moncef Marzouki. Ce dernier a envoyé Imen Jaziri comme émissaire pour le remplacer parmi les invités d’honneur. Certains rappellent que Rached Ghannouchi avait également décliné l’invitation au congrès constitutif d’Al-Irada, le pari de Marzouki, quelques mois plus tôt. La rupture semble donc consommée.


Chez les bases d’Ennahdha, d’aucuns relèvent que Ghannouchi n’a pendant son discours cité aucun verset coranique, contrairement à Béji Caïd Essebsi qui en a usé et abusé… « le monde à l’envers ! », ironisent certains.


La sécularisation en islam-démocratie va-t-elle trop loin trop vite ? Selon le politologue Vincent Geisser, le problème est ailleurs : « D'une certaine manière, Ennahdha tourne la page de l'islam politique classique, il s'éloigne des autres partis islamistes, mais il subsiste cependant une certaine ambivalence. Ce n'est pas tant du point de vue de l'islam politique, je dirais que de ce point de vue-là, il apparaît de plus en plus comme un parti réformiste. Il a fait sa mue, il a fait sa réforme, il a fait son Vatican 2 de l'islam politique, mais en revanche il n'a pas complètement rompu avec la tentation d'être un parti dominant, qui est hégémonique, et un parti-Etat. »


Procès d’intention ? L’avenir dira si l’AKP tunisien restera à l’instar de son homologue turc plus d’une décennie au pouvoir.


 


 


Seif Soudani