Ces chibanis du foyer de Gennevilliers laissés à leur triste sort
Ces chibanis vivent au foyer Adoma, au 115 avenue des Grésillons, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), certains depuis plus de 50 ans. Une énorme résidence qui accueille 380 chambres de 12m2, étalées sur 13 étages.
Leur sort intéresse peu de monde, en tout cas, pas ceux qui pourraient vraiment régler leur situation. Ils sont étrangers, ne peuvent donc pas voter. Ils sont âgés, très âgés pour certains, souvent analphabètes, souvent malades. Ici, il n’y a ni médecin, ni infirmière. L’assistance sociale a également déserté les lieux,il y a quelques années. Pour une chambre, il faut compter 391,85 euros par mois.
Ces « chibanis » vivent seuls dans ce foyer délabré, où les ascenseurs sont souvent en panne, où certaines piaules tombent en ruine, loin de leurs familles restées « au pays ».
La cafétéria, le seul lieu où ces « vieillards » se retrouvaient, a été démolie. Le seul endroit, ouvert pour tous, où ils rencontraient du monde….
A la place, les propriétaires ont construit neuf chambres, en passe d’être terminées. Le pognon, toujours le pognon.
Nasser Lajili, un Gennevillois pur jus, du collectif de « Solidarité des chibanis », et membre de l’opposition municipale est l’un des rares à se bouger. C’est son collectif qui a décidé d’appeler à un rassemblement ce vendredi 27 mai à 18h30 devant un autre foyer de la ville, celui de Brenu, qui connaît les mêmes difficultés, pour réclamer de « la dignité pour les chibanis ».
Ces hommes méritent pourtant toute l’attention de la France, toute notre bienveillance, notre amour même, eux qui ont occupé des postes difficiles que peu de Français désiraient exercer.
Ce foyer n’est pas un cas unique. Mais il est représentatif de ce qu’il se passe ailleurs. Alors, nous sommes allés à leur rencontre avec Jean-Michel Sicot, un photographe. Il était déjà là pour les « chibanis du Faubourg Saint-Antoine ». C’est aussi grâce à ses images que la trentaine de retraités maghrébins ont été relogés.
Ces chibanis demandent depuis plusieurs années un logement social. En vain. « Le maire de Gennevilliers reste très silencieux quand nous l’interpellons » dixit les résidents du foyer. Aux journalistes, la mairie finit par répondre.
"Effectivement, il peut arriver que des bailleurs refusent des dossiers présentés en commission mais uniquement parce que la personne n’a pas assez de ressources", explique-t-on à la mairie, qui précise qu'elle travaille "à la résorption du foyer Brenu, comprenant 389 résidents avec des chambres de 7m2 et des conditions que nous considérons comme indécentes". "Après une bataille menée en lien avec le comité de résidents, nous avons obtenu la démolition de ce foyer, après construction de 2 nouvelles résidences sociales dans l’écoquartier avec des chambres de 19m2", conclut l'entourage du maire.
Moussa Megrah est algérien. Il a 76 ans. Il est originaire de Borj, en Kabylie. Arrivé en France en 1978, il souffre du diabète depuis 1987. Il a également des problèmes au foie et à l’intestin. Il peut difficilement marcher. Moussa a subi onze opérations. Entre 2006 et 2012, il est resté cloué sur un lit d’hôpital.
Pendant deux ans, il a même été dans le coma. Aujourd’hui, il est handicapé à 80%. Il vivait au 8ème étage. Les responsables du foyer ont fini par lui donner une chambre au 1er, mais la porte de l’ascenseur ne s’ouvre pas, alors il « galère pour monter à pied ». « Je suis tombé plusieurs fois », raconte-t-il. Sa femme et ses cinq enfants, le plus âgé a 52 ans, vivent tous en Algérie : il ne les voit quasiment jamais. « J’avais fait une demande de visa pour que ma femme puisse me rendre visite mais elle a été refusée », dit Moussa dans un long soupir. « J’aimerais bien y aller mais il faudrait que toute une organisation soit mise ici et là-bas ».
Demba Sallest Sénégalais. Souffrant de diabète, il a été amputé de la jambe gauche en avril 2010. Trois fois par semaine, le lundi, le mercredi et le vendredi, il est dialysé. Demba est arrivé en France en 1978. Il habite ce foyer depuis 1994 et vit au 9ème étage. Il est marié mais n’a pas d’enfants. Il a travaillé toute sa vie en tant que plongeur dans les restaurants parisiens. Sa retraite est de 1000 euros, environ, mais il ne sait pas exactement combien il touche. Illettré, « c’est un proche qui s’occupe de mes papiers », souffle-t-il. Demba a fait une demande de regroupement familial mais tant qu’il n’a pas un logement décent, il ne pourra pas l’obtenir. Et comme ses demandes de logement qu’ils déposent chaque année, n’aboutissent pas…
Mohamed Attar, un Algérien de 82 ans, arrivé en France en 1962, est l’un des plus anciens du foyer : il vit ici depuis 1966. 8 enfants. L’un d’eux habite la région parisienne et vient lui rendre visite « dès qu’il peut ».
Il est retraité depuis 1994. Avant ça, il a travaillé un peu partout en tant que manœuvre.
Il ne sait ni lire et ni écrire. En 2011, il a été déclaré mort par sa banque. A cause de cette erreur, il a dû payer des pénalités pour des loyers impayés. Cet épisode a laissé des traces dans sa tête : aujourd’hui, il ose à peine parler de ses problèmes. Le regroupement familial, il en rêve, mais sans logement décent, il n’a aucune chance. « Je ne fais rien de mes journées : je reste assis en bas sur le banc et j’attends ».
Nadir Dendoune
Page facebook du Collectif de Solidarité aux Chibanis de Gennevilliers
Demba Sall. © JEAN-MICHEL SICOT
Mohamed Attar. © JEAN-MICHEL SICOT
Moussa Megrah. © JEAN-MICHEL SICOT
Foyer Adoma, au 115 avenue des Grésillons, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). © JEAN-MICHEL SICOT