Vers un gouvernement d’union nationale mort-né ?
C’est incontestablement le feuilleton politique de ce mois de ramadan : le grand chantier du nouveau gouvernement d'union nationale, voulu par la présidence de la République, et dont beaucoup pronostiquent déjà l'échec. Le point sur cette initiative qui commence à lasser les Tunisiens et où Béji Caïd Essebsi risque politiquement très gros.
« Le nouveau chef du gouvernement sera prêt avant la fin du mois du ramadan », affirmait ce weekend Saïda Garrache, conseillère auprès de la présidence de la République, à propos de celui que l’on nous concocterait tel un plat surprise du chef.
Début juin, nous évoquions les problématiques d’ordre constitutionnel que l’initiative cavalière du Palais de Carthage pose en termes de conformité avec la Constitution. Si aujourd’hui l’ensemble de la classe politique semble avoir fermé les yeux sur le fait que le pays a rebasculé vers un vieux logiciel de la centralisation présidentielle, le bien-fondé de l’initiative Essebsi reste plus que discutable.
« Les gouvernements d’union nationale est une mesure d’exception, décidée en marge de graves crises existentielles ou de menace d’envergure sur la sécurité nationale », affirme Mohamed Abbou, très critique sur le caractère presque nonchalant de ce coup de théâtre qu’il n’est pas le seul à percevoir comme un caprice présidentiel.
A la pertinence controversée de l’initiative, s’ajoute le syndrome chronique de la technocratie à la tunisienne, sorte de peur de gouverner selon un agenda politique. Dans sa feuille de route adressée à ceux qui voudraient bien y participer, Carthage souhaite en effet constituer des comités dont les pilotes respectifs sont chargés de dresser un état des lieux des crises sectorielles, là où d’aucuns pointent le fait que la corruption, grand fléau de cette phase, ne saurait être combattue via ce type de démarche.
En outre, depuis la troisième semaine de juin, Samir Taïeb, secrétaire général d’al Massar, parti ne disposant d’aucun siège à l’Assemblée des représentants du peuple, sillonne les plateaux tel un porte-parole effectif de l’initiative. Une légitimité qui lui semble octroyée en tant que caution de gauche de ce chantier, après le retrait du Front Populaire des négociations.
Les demandes déraisonnables du Front
Si la manœuvre d’Essebsi échoue, ce sera sans doute essentiellement à cause de la défection du Front, cette fois intraitable.
Des sources concordantes indiquent que la coalition de partis d’extrême gauche, spécifiquement al WATAD, a d’abord exigé un voire plusieurs ministères régaliens, dont surtout le ministère de la Justice… Pourquoi tant d’insistance ?
Au moment où débute à Tunis le procès de l’assassinat de Chokri Belaïd, le Front n’en a toujours pas fini avec le contentieux politico-judiciaire vieux de trois ans : son leadership qui accusait le juge d’instruction de la 13ème chambre criminelle de laxisme envers le terrorisme, pense qu’en héritant du portefeuille de la Justice, le cas Belaïd serait alors solutionné.
Le veto d’Ennahdha n’a pas tardé : le parti à référentiel islamique craignant une cabale visant les anciens hauts responsables de la troïka, s’est fermement opposé à cette proposition.
Quand l’idéologie reprend ses droits
La requête du ministère de la Justice s’étant heurtée à une fin de non-recevoir, le Front est passé aux problèmes de fond de l’initiative, notamment via Hamma Hammami qui durant les dernières 72 heures a multiplié les interventions pour fustiger le projet néolibéral qui serait en préparation dans les coulisses des négociations.
« Ces consultations ne sont qu’un leurre, tout est déjà mis en place pour exécuter les instructions du FMI à la lettre. Ceux qui accepteront d’exécuter ce plan seront nommés au gouvernement. Nous réclamons plus d’attention médiatique autour du courrier adressé par messieurs Chedly Ayari et Slim Chaker au FMI », a martelé Hammami.
En somme, tout indique à l’heure qu’il est que l’on se dirige vers énième gouvernement isolé à droite, à tendance technocratique, ornementé de quelques postes concédés à la gauche libérale-moderniste. Contesté ou rejeté, il affecterait grandement la crédibilité et la légitimité du président Essebsi.
Seif Soudani