Un gouvernement de l’espoir

 Un gouvernement de l’espoir

Quelle direction prend le président Essebsi…


Hatem M’rad


Professeur de science politique


 


Les « transitologues » ont beau dire que les gouvernements de transition sont censés être des gouvernements de large consensus ou d’union nationale, utiles pour traverser les tempêtes et les transformations brusques, assurer le passage de l’ancien au nouveau régime et construire la démocratie sur des bases saines et légitimes, on leur prête rarement l’oreille. Les gouvernements successifs d’après 2011 continuent de confondre technocratie et consensus national, coalition majoritaire et base élargie. Et les partis d’opposition rigides continuent de croire que la politique de transition est redevable aux rapports politiques ordinaires, mettant face-à-face majorité-minorité. Ils ne s’en rendent vraiment compte que  lorsqu’une crise politique insurmontable bloque le système ou lorsqu’ils n’arrivent plus à tout régler par eux-mêmes. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on se souvient du consensus, du dialogue ou de l’idée du gouvernement d’union nationale.


 


Une branche nidéiste ne veut toujours pas s’associer avec les islamistes (celle de Kotla al-Horra), Al-Jibha ne veut entendre parler ni de Nida Tounès, ni de ses associés libéraux, séculiers et islamistes, tous agents de l’impérialisme financier ou de l’ancien régime (le prix à payer de son unité), une partie d’Ennahdha accepte mal l’association avec Nida Tounès (les salafistes purs). C’est à croire que la phase historique présente soit une phase d’ordre doctrinale, propice aux enchères idéologiques. Pourtant, tous ces partis sans exception, petits ou grands, risquent eux-mêmes de perdre leur crédit, ou de disparaitre par l’effet des innombrables défis, s’il leur arrive de s’isoler au pouvoir ou à l’opposition en cette difficile phase de transition, par pure démagogie ou en fuyant les difficultés de manière irresponsable.


 


Il est vrai que des tentatives de constitution de gouvernement d’union nationale ont été avancées après 2011. Il en était question après la victoire d’Ennahdha en 2011, quoique de manière ambigüe, et c’est Néjib Chebbi, leader de l’opposition à ce moment-là, qui n’en voulait pas. Il en était aussi question sous le gouvernement de Hamadi Jebali, et cette fois-ci c’est Ghannouchi qui le rejetait. Essebsi, déjà à l’opposition, a pu l’évoquer à un certain moment, Néjib Chebbi aussi. Lors du Dialogue national, on a hésité entre le gouvernement d’union nationale et le gouvernement de technocrates, avant de le confier à Mehdi Jomâa. C’est ce dernier type qui a fini par prévaloir. Même sous Ben Ali, on se souvient, le Pacte national, signé le 7 novembre 1988 par tous les partis, ainsi que par les islamistes (sauf par le POCT de Hamma Hammami) annonçait la création d’un gouvernement d’union nationale. Le verrouillage politique après les élections législatives de 1989, promises pourtant au pluralisme, a rendu la question obsolète.


 


Il y a eu dans la courte histoire de la transition des gouvernements de coalition, avec la troïka après 2011, ou autour de Nida Tounès après 2014, mais jamais un gouvernement d’union nationale associant la grande majorité des partis représentatifs (on ne parle pas dans ce cas de tous les partis existants : 204 partis à l’heure actuelle) sur un programme commun. Cela ne semble visiblement pas une chose facile pour tous les partis. Pourtant, on pouvait penser que l’association Nida Tounès, Ennahdha, Afek et ULP est un semblant de gouvernement d’union nationale, totalisant avant la scission de Nida, environ 180 députés sur 217.


 


La nouveauté aujourd’hui, c’est que le président Essebsi souhaite associer dans ce gouvernement les deux forces syndicales qui pèsent dans le pays, l’UGTT (600 000 travailleurs adhérents) et l’UTICA (165 000 adhérents de différentes catégories représentants 2,5 millions d’employés dans les entreprises). Ces deux forces syndicales réunies représentent à elles seules la population active du pays. Ce sont deux pouvoirs réels, représentatifs des forces sociales du pays. Les partis représentent peu de choses par rapport à eux. L’essentiel pour Essebsi, initiateur de l’idée de ce gouvernement, c’est de s’appuyer sur ces forces sociales- là, si on voudrait limiter les agitations et les revendications collectives et avoir la latitude et le temps de procéder à des réformes importantes, du moins jusqu’aux élections municipales (et pourquoi pas faire des listes communes des partis composant ce gouvernement).


 


Seulement, l’UGTT et l’UTICA ont accepté le principe d’un tel gouvernement, nécessaire à la stabilité politique, économique et sociale, mais ils ont préféré participer à la définition commune du programme d’urgence, qui a fixé les grandes priorités de l’action politique, et qui sera soumis à l’Assemblée (ARP) pour approbation. Ils ne voudraient pas trop s’impliquer dans la mise en œuvre politique du programme au sein du gouvernement, même s’ils s’engagent à le soutenir. D’abord les débordements de leurs bases sont toujours possibles, ensuite, leurs adhérents pourraient mal comprendre une telle implication. En outre, l’UGTT doit organiser dans quelques semaines un Congrès et des élections générales. En tout cas, croyant surtout aux rapports de force, Essebsi se contenterait machiavéliquement de la coalition actuelle avec les islamistes et de l’adjonction de l’UGTT et de l’UTICA, qui aideront grandement le gouvernement à gouverner effectivement par leur force de mobilisation. Il a d’ailleurs exclu à demi-mot de son initiative, sans les nommer, certains partis contestataires de gauche (comme le CPR ou Wafa ou autres), partisans de la « politique » de refus.


 


Il est vrai que l’initiative du gouvernement d’union nationale permet au président de dépasser la crise interne de Nida Tounès, scission et rivalités personnelles, de dissimuler le caractère désormais minoritaire de son parti, tout en tentant de dissoudre l’influence d’Ennahdha dans un gouvernement d’union. Au final, il paraitraît comme un chef d’Etat ayant d’abord en vue le sens de l’Etat et l’intérêt du pays. Un tel gouvernement est en effet censé sauver la situation du pays et réconforter les instances internationales.


 


En tout cas, pour les Tunisiens, lassés par les crises à répétitions, tout ce qu’ils souhaitent, c’est de voir enfin, après cinq ans et demi d’agitations et de laxisme, la désignation d’un gouvernement qui saura donner de l'espoir aux Tunisiens et les rendre optimistes. Le reste viendra tout seul.


 


                                                                                     Hatem M’rad