Habib Essid : « Je ne démissionnerai pas ! »
Lors d’une interview évènement, le chef du gouvernement Habib Essid a révélé avoir « fait face à de multiples pressions et menaces » pour le pousser à démissionner. Diffusé mercredi soir 21 juillet sur la chaine privée Attassia, l’entretien qui jette un pavé dans la marre a vraisemblablement joué un rôle dans le report, voire l’annulation de la séance d’audition d’Essid devant l’Assemblée, initialement prévue pour le vendredi 22 juillet.
C’est finalement un vote de confiance que demandera Habib Essid à l’Assemblée. Face à une situation aussi complexe qu’injuste, où la confiance initialement donnée par le Bardo à la Kasbah est en passe d’être retirée par Carthage, le chef du gouvernement choisit logiquement le recours à l’ARP…
Bras de fer institutionnel
Pour comprendre la pertinence de ce recours, il faut revenir à ce que stipule la Constitution en la matière, dans ses articles 98 et 99 : trois scénarios sont possibles pour le départ du chef du gouvernement. Les deux premiers sont politiquement à risque pour le président de la République, car elles mènent à des élections anticipées, ce que veut à tout prix éviter Béji Caïd Essebsi. Premier scénario, ce dernier doit se déplacer personnellement à l’Assemblée pour requérir le retrait de la confiance au gouvernement, et si cela n’aboutit pas deux fois, alors c’est au président de présenter sa démission et d’organiser de nouvelles élections présidentielles.
Deuxième scénario, l’Assemblée vote une motion de censure et retire la confiance au gouvernement, et si une personnalité n’est pas désignée au bout d’un mois à la tête du gouvernement ou n’arrive pas à obtenir la confiance, alors c’est l’Assemblée elle-même qui devra être dissoute, et des élections législatives ont alors lieu. Un processus long et coûteux pour le pays.
Le troisième scénario, implicitement voulu par Essebsi, est une démission d’Essid de son plein gré. Nous savons aujourd’hui que cela n’aura pas lieu. Nous savons aussi qui est à l’origine des pressions du Palais en direction d’Essid pour le pousser vers la sortie. Selon le journal Ekher Khabar dont la source est le dirigeant de Nidaa Boujemâa Remili, c’est en effet le conseiller du président Noureddine Benticha qui aurait contacté l’ami proche d’Essid, l’ex ministre Mohamed Ben Rejeb, pour lui signifier que le chef du gouvernement devra démissionner « sinon nous allons l’humilier »…
Un homme digne
« J'ai accepté la responsabilité (de diriger le gouvernement) avec ce que cela implique de meilleur et de pire, je ne peux démissionner pour avoir été incapable d'assumer ma mission car je ne suis pas un soldat déserteur, une position que j'ai réitéré devant le président de la République », a confirmé d’emblée Habib Essid dans l’entretien d’hier soir, ajoutant que le président de la République ne lui a jamais demandé directement de présenter sa démission.
L’homme a révélé néanmoins que des intermédiaires de partis, parlant parfois au nom du président de la République, l'ont visité à son bureau au Palais du gouvernement, et se sont employés à me convaincre de partir.
Ironique, Essid enchaîne : « Je ne parle pas le langage des insinuations. Le travail au sein des institutions de l'Etat, y compris en matière de communication, ne se fait pas par des allusions mais par des méthodes directes et claires ».
Au sujet de sa détermination à passer par le Parlement pour quitter le gouvernement, il a estimé que « la démission est une responsabilité personnelle », indiquant qu'il assume sa responsabilité « mais à condition qu'elle soit collective », une allusion au fait que certains de ses ministres, notamment ceux de Nidaa Tounes qui convoitent son propre poste, refusent de reconnaître leur propre échec et se sont désolidarisés de lui en refusant de l’accompagner à l’Assemblée.
Un avenir incertain
A propos de l’initiative présidentielle de gouvernement d’union nationale, Essid commente : « J'ai pris acte de l'initiative du président Beji Caid Essebsi tant qu'elle sert l'intérêt du pays, mais ma réserve porte sur la méthode de son lancement qui aurait dû être mieux étudiée pour gagner du temps en procédant à des consultations en amont. Le timing de sa présentation n'était pas approprié, en période d’été et en plein ramadan ou les menaces terroristes sont très grands ».
Politiquement correct au sujet de ses rapports avec le président Essebsi, Essid s’est contenté de rappeler que ce sont des rapports « clairement définis par la Constitution », sans plus. Il a par ailleurs démenti les informations selon lesquelles il aurait mis sur table d'écoutes le président de la République et sa famille. « Cette allégation est fausse, le président m'en a parlé et je lui ai expliqué que cette procédure n'est possible que sur autorisation judiciaire », a expliqué le chef du gouvernement qui n'a pas exclu que cette question « ait été une des causes de la tension avec lui »…
Défendant son bilan, Essid a tenté de rassurer en estimant que des dispositions ont été prises pour que l’Etat renfloue ses caisses d’ici 2017, récusant les spéculations de faillite.
C’est un homme plutôt isolé, seulement soutenu par la faction de Ridha Belhaj, minoritaire à Nidaa, qui est donc apparu hier soir après un long silence médiatique. Plutôt connu pour sa droiture que pour son charisme, cet indépendant haut commis de l’Etat est cependant en train d’endosser le costume de résistant au nouvel autoritarisme de Carthage, telle une authentique figure politique. Qui l’eût cru ?
Seif Soudani