« Chaque citoyen a son rôle à jouer dans la sécurité de son quartier », Anaïs Bouhloul, habitante d’Aubervilliers
Dans le quartier du Landy, à deux pas du « Sentier Chinois », la première plate-forme européenne de l’import-export en textile, les agressions de personnes se multiplient, visant en particulier la communauté asiatique. « Nous n’arrêtons pas d’alerter le préfet », précise la mairie, qui « avec 150 policiers sur une commune qui compte 82500 habitants, ne peut être partout à la fois ». Meriem Derkaoui, la maire communiste, réclame en vain depuis plusieurs mois 300 policiers supplémentaires, « le minimum pour une ville de cette taille ».
La situation est devenue tellement préoccupante que des citoyens d’Aubervilliers ont décidé d’agir. En compagnie de deux de ses amis, Farid et Samira, Anaïs Bouhloul, originaire de La Courneuve, la ville voisine, et qui habitent tous les trois le quartier du Landy ont décidé de réagir. Il y a quelques jours, ils ont décidé de se réunir autour d’un barbecue. Rencontre….
LCDA: Pourquoi avez-vous jugé utile d’organiser un barbecue entre voisins ?
Quand les agressions qui ont touché principalement la communauté asiatique du quartier ont eu lieu, plusieurs personnes, à titre individuelles, se sont indignées. Sur cette base, avec deux amis, Samira et Farid, nous sommes allés à la rencontre de nos voisins et de gens que nous connaissions, habitant à proximité, pour tenter de mettre en place une mobilisation collective. Nous leur expliquions qu’on ne pouvait pas être témoin de la souffrance d'une part importante de la population de notre quartier et ne rien dire. Nous voulions mettre tout le monde autour d’une table avant qu’il ne soit trop tard. Nous ne voulons pas que la peur gagne les esprits, qu’elle engendre le repli sur soi et qu’elle débouche sur de la vengeance. L’idée du barbecue est venue des plus jeunes. Par cette action, ils voulaient montrer que les choses sont plus nuancées et que beaucoup d’entre eux rejettent toute forme de violence.
Même si cette première expérience a été une franche réussite, nous sommes conscients que la situation est fragile et qu’elle peut dégénérer à tout instant.
LCDA: Au vu des témoignages recueillis par la police, la situation semble effectivement assez préoccupante. Pensez-vous que cela soit aux citoyens d’agir ?
Je suis persuadée que chaque citoyen a son rôle à jouer dans la sécurité de son quartier. Il ne s’agit pas de créer une milice, ou de mettre en place un système de délation entre citoyens mais au contraire de s’organiser collectivement avec intelligence et bienveillance.
LCDA: N’est-ce pas le rôle de la police ?
Oui et nous ne souhaitons pas bien entendu nous substituer aux forces de police. Le fait de vivre dans ce quartier nous permet d’avoir une analyse et une approche différente. Par le dialogue, les rencontres, les échanges, nous pensons que nous pouvons désamorcer de nombreux conflits.
LCDA: Cela peut-il suffire ?
On ne prétend pas détenir la recette miracle. On prétend juste avoir une approche différente. Nous aimerions juste être en mesure de la mettre en place. C’est précisément pourquoi nous avons demandé aux autorités locales de participer au CLSPD (conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance) qui réunit l'ensemble des acteurs d'un territoire, mobilisés sur les questions de prévention et de sécurité (élus locaux, préfet, police nationale, éducateurs…). Nous voulons nous appuyer sur le CLSPD pour récréer du lien entre les dispositifs de prévention et de sécurité et les habitants. Cette proposition est née d'un constat partagé au fil de nos échanges avec les habitants: l'administration municipale parle plus à l'administration policière qu'aux habitants. Du coup, quand la municipalité est confrontée à des questions de sécurité, il est déjà trop tard. Les services municipaux réagissent dans l'urgence, alors que nous devons travailler sur du long terme, en mettant en place par exemple un système de veille. En ne rencontrant les habitants qu'en situation de crise, les pouvoirs publics perdent toute crédibilité, alors que nous attendons, légitimement, d'eux qu'ils anticipent les tensions.
Propos recueillis par Nadir Dendoune