Polémique autour d’un projet de loi contre le harcèlement de rue

 Polémique autour d’un projet de loi contre le harcèlement de rue

Capture d’écran de la vidéo « 60 ans d’indépendance et nos corps sont toujours colonisés »


Un projet de loi organique relatif à la « lutte contre la violence à l'égard des femmes » a été adopté en conseil des ministres. Il prévoit que les auteurs de harcèlement envers les femmes dans les lieux publics seront punis d’une année d'emprisonnement, a-t-on appris ce weekend. Entre satisfecit, indignation et railleries, les réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie.




 


Conçu dit-on notamment par la conseillère du président de la République, l’ex militante féministe Saïda Garrach, le texte de loi propose également une amende de 2000 dinars en cas de discrimination à l’égard des femmes en matière de rémunération pour un même travail. Il est aussi prévu l’amendement de plusieurs articles du code pénal tunisien et leur remplacement par de nouvelles dispositions juridiques. Pas moins de 43 articles répartis en 5 chapitres légifèrent dans le sens d’une consolidation de la protection des femmes.


Par ailleurs, les peines prévues dans le code pénal seront augmentées si l'auteur de la violence jouit d’une « forme d’autorité » sur la victime, s’il existe des liens de mariage ou de parenté entre l'agresseur et la victime, ou lorsque l'agresseur utilise son pouvoir en milieu du travail.


 


L’épineuse question de la subjectivité des définitions


Les actes de harcèlement sexuel d'une femme dans un lieu public sont en outre sanctionnés par ce projet de loi, en sus de l'annulation des anciens articles qui auraient permis aux inculpés d'échapper aux poursuites judiciaires ou de se marier avec la victime.


Parmi les nouveaux articles proposés par le projet, la modification du code pénal dans son article 226 : ainsi, pour tout harcèlement sexuel la peine sera un emprisonnement de deux ans et une amende de 5000 dinars.


Le harcèlement sexuel, comme le définit le projet de loi organique, est « tout acte, geste ou mots à connotation sexuelle ». Dans les cas de harcèlement, même verbal donc, dans les lieux publics, la peine prévue est d’1 an de prison. C’est là la disposition la plus controversée du texte. « Ce projet va renforcer l’idée de confrontation voire de guerre des sexes », « Autant passer directement au viol, de toute façon la prison vous attend », « Marre des mains baladeuses dans les transports publics, il était temps »… peut-on lire entre réactions contrastées sur la toile.


Le projet de loi stipule enfin une peine de 6 ans de prison (article 227) pour toute personne ayant une relation sexuelle consentante avec une mineure de moins de seize ans et de cinq ans avec une mineure consentante de plus de seize ans et moins de 18 ans.


 


Importation d’un féminisme radical ?


En mars dernier, sous le titre « 60 ans d’indépendance et nos corps sont toujours colonisés », des ONG féministes ont réalisé une vidéo mi pédagogique, mi provocante où des témoins rapportent en les mimant des insultes et autres propositions sexuelles qu’elles subiraient quotidiennement.


En Occident, et plus spécifiquement aux Etats-Unis, le débat fait rage depuis quelques mois parmi la communauté Youtube entre ce que certains perçoivent comme du harcèlement de rue, et d’autres comme de banales taquineries.


Les « social experiments » se multiplient : une vidéo titrée « 10 Hours of Walking in NYC as a Woman » totalise en effet près de 43 millions de vue, tandis que d’autres youtubers ont répondu tour à tour par le même principe, cette fois avec un homme (12 millions de vues), puis avec une femme portant le hijab (13 millions de vues).


« N’espérez pas un passage de cette loi avec le bloc Ennahdha à l’Assemblée », ironise une jeune militante féministe. Pas si sûr : que ce soit au sein des bases du parti à référentiel islamique ou de son leadership, les réactions sont plutôt mitigées. Certains évoquent la difficulté de la faisabilité et de la preuve dans ce cas, ainsi que la possibilité de détournement de la loi à des fins de diffamation, d’autres trouvent une justification morale à un « projet nécessaire ».  


Puritanisme et féminisme radical trouveraient-il dans ce texte relativement sévère un terrain d’entente ? La réponse bientôt en séance plénière.


 


S.S