Gouvernement d’union : la tentation du « tout familial »

 Gouvernement d’union : la tentation du « tout familial »

Carthage


Le président de la République a entamé dans l’après-midi du lundi 1er août les réunions avec les signataires du « document de Carthage », avec pour ordre du jour une série de consultations autour de la personnalité qui dirigera le prochain gouvernement d’union nationale. La réunion a tourné court cependant, puisque Béji Caïd Essebsi avait déjà une suggestion qu’il n’a pas hésité à mettre sur la table : le déjà pressenti Youssef Chahed, un technocrate parent par alliance du président…




 


Ils étaient au complet : les représentants des organisations nationales l’UGTT, l’UTICA et l’UTAP, ainsi que les neuf partis politiques ayant signé l’accord en vue de la formation du gouvernement dit d’union nationale : Nidaa Tounes (représenté par le fils du président), Ennahdha, Afek Tounes, l’UPL, Al Massar, Al Jomhouri, le Mouvement Al Chaâb, Al Moubadara et le Mouvement Machrou Tounes.


D’après une source ayant participé à la réunion en question, nous avons appris que le président de la République a bien proposé Youssef Chahed à la tête du gouvernement d'union nationale : Essebsi a appelé les participants soit à approuver sa proposition, soit « proposer une personnalité qui jouit d'un consensus ».


Les parties réunies se sont engagées dans la foulée à répondre à la proposition du président et / ou proposer leurs candidats demain mercredi 3 août…


Mais selon nos sources, également présentes à la réunion, Ennahdha, une partie d’Afek ainsi que l'UGTT seraient d’ores et déjà favorables à la désignation de Chahed. Aujourd’hui mardi, l’UPL de Slim Riahi s’est déclaré via le président de son groupe parlementaire « surpris par la recommandation prématurée et sans concertations du président », tandis que Nidaa Tounes tente par le biais de Hafedh Caïd Essebsi de minimiser la polémique en affirmant que le parti proposera trois autres noms…


 


Un CV controversé


Pour rappel, Youssef Chahed a assuré les fonctions de secrétaire d’Etat à la Pêche dans le premier gouvernement Essid, puis fut rapidement promu ministre des Affaires locales (détachées du ministère de l’Intérieur) dans le gouvernement « Essid 2 », ce que de nombreux observateurs avaient considéré comme une volonté de mainmise de Nidaa Tounes sur les prochaines élections municipales.


Ce jeune « quadra » universitaire est expert international en agronomie et politique agricole depuis 2003 auprès de nombre d’organisations agricoles internationales, dont l’USDA, ce qui soulève nombre d’interrogations au sujet des futures politiques agricoles du pays en matière d’éthique et utilisation d’OGM, entre autres questions de souveraineté nationale.  


Après avoir contribué à la fondation du parti centriste al Jomhouri issu de l’ex PDP fusionné un temps avec Afek Tounes, Youssef Chahed eût une ascension fulgurante depuis qu’il est membre du bureau exécutif Nidaa Tounes. « Tourisme inter-partis » estiment certains.


L’opinion publique retient surtout que Chahed est le neveu du mari de la fille du président de la République qui est aussi son médecin personnel. Une gestion aux contours claniques qui rappelle aux Tunisies de douloureux souvenirs de leur histoire récente. Slim Azzabi, gendre du président, officie en effet déjà au Palais en tant que chef de cabinet.


 


Aucune perspective claire de sortie de crise


Après un départ tourmenté du gouvernement Essid, l'exécutif est dans un état de délabrement tel en Tunisie que le prochain chef du gouvernement, qui devra accepter une mission peu enviable, pourrait bien être ce que fut Ben Ali à Bourguiba : n'accepter la mission que pour mieux enfoncer une présidence en fin de cycle et investir dans sa propre image ou carrière.


D'où le réflexe d'auto préservation de Carthage qui, prévisible et se sentant affaibli, opte pour ce poste soit pour des loyautés familiales, soit encore pour une personnalité jouissant de peu de charisme, en somme un exécutant. Néanmoins la jurisprudence Essid, qui a déjà égratigné l'autorité du Palais par sa rébellion institutionnelle, pourrait donner des idées au nouveau candidat et lui servir d'exemple en cas de tentation d’affranchissement.


Autre donnée à ne pas sous-estimer, le retour du slogan « le peuple en a marre des nouveaux Trabelsi » dans les réseaux sociaux pourrait préfigurer le retour de la grogne dans la rue, si la présidence persiste à vouloir passer en force dans sa logique népotique.


La moyenne de la durée de vie des gouvernements qui se sont succédés en Tunisie depuis le 15 janvier 2011 à ce jour est de 7 mois…


 


Seif Soudani