« Il faut inverser la dynamique politique et médiatique qui est en train de détruire le pacte citoyen et de monter les gens les uns contre les autres », Marwan Muhammad du CCIF

 « Il faut inverser la dynamique politique et médiatique qui est en train de détruire le pacte citoyen et de monter les gens les uns contre les autres », Marwan Muhammad du CCIF


 


Marwan Muhammad est le directeur exécutif du Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF). Face à « l’urgence de la situation », son association a décidé de lancer une grande campagne d’adhésion. Avec succès : depuis son lancement il y a quatre jours, plus de 3500 personnes ont décidé de rejoindre le CCIF, portant le nombre total d’adhérents à 6000. Et ce n’est pas fini…


 


LCDA : Vous demandez aux gens d'adhérer en masse au CCIF. Pour quelles raisons ?


C'est simple, soit on continue à se plaindre d'une situation que tout le monde sait être gravissime, soit on agit de manière décisive pour changer les choses. Le CCIF a, pendant les 13 dernières années, fourni un service d'assistance à des milliers de victimes, en développant sa communication, sa présence sur le terrain, dans toutes les régions et au niveau international, mais ça n'est pas suffisant. Il faut être capable d'inverser la dynamique politique et médiatique qui est en train de détruire le pacte citoyen et de monter les gens les uns contre les autres, avec les musulmans comme cible désignée, faisant les frais de tous les échecs. Nous sommes sur toutes les affaires, travaillons tous les jours, y compris les soirs et les weekends, avec une équipe exceptionnelle, mais on se heurte à une limite physique et opérationnelle : nous sommes tout simplement humains, avec une responsabilité immense : réparer quelque chose de profondément abîmé dans notre pays. 



Le CCIF doit donc se doter de moyens opérationnels encore plus développés et pérenniser son action existante, sachant que nous ne recevons aucune subvention d'aucune sorte de la part du gouvernement. Pour se donner des repères : 



A 10 000 adhérents, on peut pérenniser l'action du service juridique. 


A 20 000 adhérents, on atteint l'autonomie financière du CCIF. 


A 30 000 adhérents, on peut recruter une équipe professionnelle sur la communication, afin de produire des contenus graphiques et vidéo qui puissent toucher une audience large et compenser le traitement médiatique souvent problématique des musulmans. 



A 40 000 adhérents, on peut avoir une équipe dédiée à l'action politique, afin d'influencer de manière efficace la manière dont surgissent les débats publics et éviter que les élections se jouent en se servant des musulmans comme d'un paillasson électoral. Qu'ils votent ou non, les musulmans doivent être respectés, sans la moindre complaisance. 


 


LCDA : Pensez-vous vraiment que la France est en train de « virer à la pure folie politique » ? 


Oui. Jamais la situation n'a été si grave sur le plan politique. On ne parle quasiment plus des problèmes du pays. L'espace public est pris en otage par des politiciens qui se lancent dans une compétition islamophobe. C'est à celui qui créera la polémique la plus stérile et la plus destructrice. Entre Geoffroy Didier (NDLR : candidat à la primaire de la droite)qui veut « tester » les enfants musulmans, Nathalie Kosciusko-Morizet (NDLR : députée Les Républicains de l’Essonne) qui calomnie les musulmans de Longjumeau, les menaces de mort contre les organisatrices d'une journée piscine ou Nadine Morano qui soutient les commentaires nazis d'un élu Républicain, la classe politique française sombre dans la folie. Le drame, c'est qu'ils souhaitent faire plonger le pays avec eux, puisque c'est désormais leur seule manière d'exister, face à leur échec sur le plan des idées. 


 


LCDA : Le CCIF est régulièrement taxé de communautariste….


L'accusation de « communautarisme » ou de « controversé » est une habituelle capitulation du débat. C'est ce que nos détracteurs disent lorsqu'ils n'ont plus d'argument. Le CCIF est une organisation de défense des droits humains qui oeuvre pour toutes les personnes victimes d'islamophobie, sans distinction d'appartenance ou de religion. Et nous faisons cela avec toutes les bonnes volontés, dans la même diversité. Et si le fait que nous défendions le droit pour les musulman-e-s de pratiquer leur religion librement dérange les islamophobes, c'est que nous sommes dans le vif du sujet.


Le « communautarisme » est rarement utilisé pour dénoncer l'entre soi de ceux qui aujourd'hui détiennent le pouvoir et veillent à maintenir des logiques de domination et d'exclusion. Je croirai à la sincérité de ces contempteurs le jour où les journaux télévisés, l'assemblée et le sénat reflèteront la même diversité que dans la société française : on y verra des Blancs, des Noirs, des Arabes, des Asiatiques, des personnes de toutes les religions, des hommes comme des femmes, on n'y exclura pas les gens pour un foulard, une kippa ou une coupe de cheveux. Là, et seulement là, on pourra entendre des discours fustigeant le communautarisme, dès lors dépassé. D'ici là, respectons la liberté et l'autonomie de tou-te-s.


 


LCDA : L'islamophobie concerne-t-elle seulement la communauté musulmane ?


Non. Ni parmi les victimes, ni désormais parmi les communautés visées. On ne compte plus le nombre de cas où des non musulman-e-s sont visé-e-s par des actes islamophobes, simplement parce qu'ils/elles sont prises pour des musulman-e-s. Les récentes polémiques (journée piscine à Marseille, séjour spirituel musulman, accès à la plage, etc.) ont également montré que pour stigmatiser les musulmans sur le plan politique, certains étaient également prêts à mettre en péril les droits et libertés fondamentales dont nous bénéficions tous, toutes communautés confondues.


C'est donc le pays entier qui souffre de cette situation et c'est donc à nous tou-te-s de répondre, ensemble, à ce péril. C'est exactement ce que nous disent celles et ceux qui ont rejoint le CCIF … Un hymne à la fraternité et au rassemblement, pour dire non à la destruction de ce qui nous unit : l'idée que nous sommes égaux et libres, quelle que soit notre religion et quelles que soient nos opinions.


 


Nadir Dendoune