Censure, luttes partisanes, corruption… la démocratie tunisienne atteint un plus bas inédit
Le président de la République Béji Caïd Essebsi est à New York, dans le cadre d’une visite de travail en marge de la 71ème édition de l’assemblée générale des Nations-Unies, afin de « faire la promotion de la démocratie tunisienne », assure sa délégation. Pourtant, au vu de l’état de délabrement de son parti Nidaa Tounes, mais aussi du retour des prémices de la censure, la jeune démocratie tunisienne est probablement au plus bas depuis la révolution.
C’est flanqué de son médecin personnel, le cardiologue Moez Belkhodja, que Béji Caïd Essebsi a entamé sa visite lundi par une rencontre avec le secrétaire d’Etat américain aux Affaires étrangères, John Kerry. Selon certains observateurs, c’est en soi un mauvais signal envoyé aux investisseurs.
« Ironiquement, le président de la République sera aux Etats-Unis pour promouvoir la démocratie tunisienne le jour de la censure de mon entretien télévisé », avait commenté Moncef Marzouki. Depuis l’émission fut finalement diffusée vendredi dernier, à 18h30 et non en prime time, et nous en savons davantage sur les raisons des pressions subies par la chaîne Attessia TV pour en empêcher la diffusion.
Marzouki, « saying it like it is »
« Ne vous y trompez pas, ce n’est pas parce que ces gens ont reconquis le pouvoir qu’ils sont indéboulonnables […]. Les jeunes sont en train de prendre conscience, tout comme ceux qui ignoraient pour qui ils ont voté. Oui, ils sont au sommet de la pyramide, mais en dessous il y a des bases semblables à des plaques tectoniques populaires, pilier de la société, qui sont en train de bouger. Ce n’est pas la révolution qui est une parenthèse, c’est le régime Bourguiba – Ben Ali – Essebsi qui est une parenthèse en passe d’être fermée… ce régime basé sur la statue de Bourguiba, sur le narcissisme, le culte de la personnalité, le pouvoir héréditaire, la propulsion soudaine d’un jeune homme au sommet de l’Etat, les lobbies, les mafias et les médias corrompus… Nous sommes en train de nous en débarrasser petit à petit. Seul problème : le temps des peuples n’est pas le même que le temps des individus », a asséné Marzouki, obtenant l’approbation de son intervieweur.
Cette séquence pourrait à elle seule expliquer le souhait de l’exécutif dans ses deux pôles de la Kasbah et de Carthage d’oblitérer cette tribune. Aujourd’hui l’ancien ministre Abdellatif Mekki est le seul dirigeant d’Ennahdha à sortir de son silence pour confirmer que des pressions sur la chaîne ont bien eu lieu. « Ce n’est pas la première fois que cela arrive », confirme-t-il, tout en approuvant le communiqué de la SNJT à ce sujet.
Si les langues se délient y compris chez les alliés d’Ennahdha, c’est que Nidaa Tounes est au bord de la rupture sur tous les plans : légal, éthique, logistique…
Sentant le vent tourner avec l’agrandissement de la sphère de la dissidence parlementaire qui propose à l’Assemblée d’élire un nouveau président du bloc Nidaa en remplacement de Sofiène Toubel soupçonné de corruption, Hafedh Caïd Essebsi a abattu sa dernière carte. Le fils prodigue a en effet convoqué dimanche une sorte de réunion de la dernière chance, où il a appelé à la rescousse l’actuel chef du gouvernement Youssef Chahed, pensant pouvoir lui confier les clés du parti avec la présidence de la plus haute instance de Nidaa.
Tollés multiples : à l’intérieur du parti, la manœuvre éclipse la montée en puissance de Néji Jelloul et d’autres factions rivales, tandis que les partenaires de Nidaa au sein du gouvernement d’union nationale ont du mal à avaler la couleuvre qui scellerait la logique du parti-Etat. Si Youssef Chahed s’empare du parti à la faveur d’une logique clanique familiale, les conflits fratricides de Nidaa Tounes s’en trouveraient exportées vers les rouages de l’Etat.
Seif Soudani