A Ennahdha, la dissidence monte au créneau

 A Ennahdha, la dissidence monte au créneau


« J’ai des réserves quant à la forme actuelle de l’alliance avec Nidaa Tounes ». Lâchée publiquement par Samir Dilou, l’un des poids lourds d’Ennahdha, l’affirmation n’est pas anodine. Par son audace elle ouvre une première brèche dans la mythique unité du parti à référentiel islamique. Conscients du malaise grandissant, d’autres cadres ont rejoint ce front de la dissidence.


 


« J’étais parmi les premiers à avoir théorisé le consensus (entre Ennahdha et Nidaa tounes, ndlr), mais j’ai certainement des réserves quant à l’actuelle mise en œuvre de ce consensus », a concédé l’ex ministre des droits de l’homme et de la justice transitionnelle et actuel député Samir Dilou, face à une journaliste insistante de Shems FM, qui dit préférer se consacrer aujourd’hui à ses activités d’élus, plutôt que de joindre un exécutif dont il ne partage pas les choix stratégiques.


« On m’a proposé de présenter ma candidature pour des portefeuilles ministériels au gouvernement Essid et celui de Chahed, mais j’ai refusé. Chaque période possède les hommes adéquats qui peuvent la servir de la meilleure façon qui soit », ajoute-t-il en effet.


Le même jour, il est rejoint dans ses propos par Abdelhamid Jelassi, membre du bureau exécutif du parti, qui surenchérit dans le journal Alchourouk que « l’alliance entre Ennahdha et Nidaa Tounes est une transaction de dupes ». « Je crains que nous assistons à une hégémonie de Nidaa Tounes, conclue Jelassi, ajoutant que « la transition à la tête d’Ennahdha doit être entamée dès à présent » et que le parti « devrait penser l’après Rached Ghannouchi, aujourd’hui âgé de 75 ans ».


Une semaine auparavant, c’est Zoubeir Chehoudi, membre du Conseil de la choura du parti, qui commentait un récent remaniement dans le corps des gouverneurs qu’il estime « inquiétant », étant donnée la part du lion réservée aux gouverneurs proches ou issus de Nidaa Tounes.


De son côté, considéré comme faisant partie des « faucons » d’Ennahdha pour son attachement affiché aux demandes initiales de la révolution, l’ancien ministre de la Santé Abdellatif Mekki a de plus en plus recours aux réseaux sociaux pour exprimer une certaine exaspération face à l’autoritarisme des supposés partenaires d’Ennahdha au pouvoir.


 


Une « technocratisation » à reculons


Tous expriment autant d’allusions on ne peut plus claires au fait que la représentativité gouvernementale actuelle d’Ennahdha est toujours dérisoire au regard de son poids électoral et parlementaire, autant sous gouvernement Essid que gouvernement Chahed.


Mais ce rôle de quasi figuration n’est pas l’unique motif de frustration au sein d’une partie du leadership Ennahdha, un sentiment visible depuis le 10ème congrès du parti en mai dernier qui avait déjà vu l’émergence d’une fronde décomplexée issue du même groupe dissident.


En juillet dernier, l’élection du jeune ministre Zied Ladhari au poste de secrétaire général d’Ennahdha, porté à ce poste par Rached Ghannouchi, n’a fait qu’envenimer les choses : juriste au caractère lisse, ayant fait carrière en France et ne faisant pas partie des militants historiques du parti, sa quasi désignation traduit le virage pragmatique trop rapide, voire forcé, aux yeux de certains.


Plus encore que le bras de fer chez Ennahdha, en somme naturel dans un parti globalement plus démocratique que ses homologues tunisiens, ce sont les déboires de l’agonisant Nidaa Tounes qui accélèrent aujourd’hui la dissidence au sein de son allié islamiste. Plus Nidaa s’affaiblit, plus le camp Jelassi – Dilou – Mekki s’en trouve renforcé et audible.


Dimanche soir 25 septembre, Nidaa Tounes s’est une fois de plus donné en spectacle via Ridha Belhaj sur le plateau en prime time d’Elhiwar Ettounsi. L’ancien directeur du cabinet présidentiel s’est livré à un grand déballage, dénonçant « une dérive présidentialiste » du pouvoir actuel.  


L’ancien Premier ministre Hamadi Jebali avait été un précurseur de la dissidence à Ennahdha, en choisissant une démission pure et simple du parti, mais resté esseulé depuis. Qu’il soit ou non rejoint par d’autres mécontents, Ennahdha n’est déjà plus cette formation qui se prévalait d’être une exception dans le paysage politique tourmenté tunisien, en matière de discipline et d’unité.


 


S.S