Moncef Marzouki, éternel iconoclaste

 Moncef Marzouki, éternel iconoclaste

Moncef Marzouki

Lundi 31 octobre, 08h00. Les Tunisiens sont moins nombreux à écouter la matinale de la Radio nationale avec pour invité spécial Moncef Marzouki. Et pour cause, la grève des taxis qui paralyse partiellement le Grand Tunis résulte certainement en une baisse de taux d’audience. Pourtant l’ancien président faisait une exception, selon son entourage, en acceptant un entretien avec Hatem Benamara, considéré comme l’un des présentateurs symbolisant l’arrière-garde journalistique ayant fait carrière sous l’ancien régime.



 


Parmi les sujets évoqués, précisément la récurrence des mouvements sociaux ces dernières semaines, qui ont vu se succéder une grève des avocats, la grève des dentistes, celle des pharmaciens, et celle des chauffeurs de taxis. En cause notamment : le projet de loi de finances 2017, « qui fait porter le fardeau fiscal à l'ensemble des classes moyennes et des plus démunies » a affirmé Marzouki qui s’exprimait aussi en chef du parti d’opposition Alirada.  


Le même jour, le chef du gouvernement n’a pas hésité à s’offrir un quasi publi-reportage via l’agence Tunis Afrique Presse qui titrait sans sourciller que « Le projet de la loi de finances 2017 consacre la justice fiscale et incite à la création d'emplois ». Sur un plan plus politique voire idéologique, d’aucuns ont noté qu’en cette sixième occurrence de loi du budget depuis la révolution, le texte de préambule contenant la vision et les grandes lignes directrices économiques du gouvernement ne contient aucune référence à la révolution. Une omission inédite depuis cinq ans.


Le texte fait en revanche référence à « l’acuité de la vision instituée par le Document de Carthage » (sic), sorte de feuille de route pilotée par le Palais de Carthage et manifeste en vertu duquel fut constitué le gouvernement dit « d’union nationale ». Une appellation contestée par Moncef Marzouki, pour n’avoir pas été consulté ni lui ni sa famille politique et encore moins été appelé aux négociations en vue de participer au nouveau pouvoir.


 


« Youssef qui ? Connais pas ! »


Mais ce qui agite le plus les réseaux sociaux, c’est la phrase assassine qu’ils ont retenue de l’entretien, lâchée par Marzouki à propos de l’actuel chef de gouvernement Youssef Chahed : « C’est qui Youssef Chahed ? Allez, passons à la suite ! », suivie d’un geste désinvolte de la main…


Vraisemblablement bien pesée, la réaction intervient en réponse tardive à un leak d’une vidéo où le même Youssef Chahed, filmé fêtant la victoire de Béji Caïd Essebsi aux élections présidentielles de 2014, sautille en répétant un vulgaire et offensant « Marzouki ***** sa mère » en compagnie d’autres dignitaires du parti victorieux Nidaa Tounes.     


Les internautes se déchirent depuis entre admirateurs d’un ancien président qui renoue avec la rhétorique anarchiste, et institutionnalistes pour qui Marzouki se rend coupable d’un affront « indigne de sa fonction d’ancien chef d’Etat ».


Quoi qu’il en soit, à 41 ans et sans légitimité militante, Youssef Chahed reste néanmoins un inconnu au bataillon pour une majeure partie de l’opinion publique qui le découvrait le jour de son intronisation à la Kasbah. Sa nomination verticale, qui en fait virtuellement un premier ministre d’un régime présidentiel, le rend attaquable pour non-conformité avec la Constitution, même si c’est le climat social extrêmement tendu qui risque de compliquer son mandant davantage que les considérations de stature politique.


En attendant, donné pour mort politiquement au lendemain des élections de 2014, le courant social-révolutionnaire incarné par le duo Samia Abbou et Moncef Marzouki, valeurs montantes, a le vent en poupe dans les derniers sondages.


 


Seif Soudani