Tunis, contre-exemple d’Alep
Au moment où la Syrie est à feu et à sang, au pire du nettoyage confessionnel et de la crise humanitaire à Alep, la Tunisie vient de donner au monde arabe une leçon d’humanisme universel : même si sa transition démocratique est imparfaite, le pays a en effet engagé la deuxième série de séances d’auditions publiques des victimes de violations de l’ancien régime, des auditions pilotées par l’instance Vérité & Dignité.
Le choix du cadre spatial, un espace appartenant à l’Ordre des avocats, n’est pas dû au hasard. En pointe dans la lutte contre l’ex dictature, un grand nombre des avocats du barreau tunisien sont particulièrement connus pour leur longue histoire auréolée d’engagement politique, contrairement à d’autres corps de métier.
Toutes les familles politiques représentées
Si l’ancien régime dans ses deux composantes bourguibiste et bénaliste fut juste et équitable vis-à-vis d’une chose, ce serait la répression indifférenciée qui a touché sans distinction l’ensemble des sensibilités politiques du pays durant près de six décennies d’autoritarisme.
En témoigne la variété idéologique des récits qui se sont succédé au fil des deux soirées des 16 et 17 décembre, et où se sont croisés les calvaires des islamistes Meherzia Belabed et Hamida Ajengui avec la communiste Najoua Rezgui. Les témoignages de ces femmes étaient probablement les plus poignants, jusqu’à causer des malaises physiques dans la salle. Toutes ont connu les affres de la prison politique, de la torture par des tortionnaires hommes et femmes, de la radiation de la fonction publique, et même de l’ostracisme de leurs proches.
Point de misérabilisme béat toutefois. Lucides malgré les saillies d’émotions, toutes ont aussi en commun l’extrême précision dans la narration de leurs souvenirs, signe de la prégnance du traumatisme.
Lorsque vient la protocolaire question du Conseil de l’IVD clôturant chaque audition par « Quelles sont vos demandes ? », là encore il y a consensus : la plupart demandent simplement que vérité soit faite. « Que ce soit clair une fois pour toutes, ma présence ici vaut tout l’or du monde, n’écoutez pas ceux qui prétendent que nous demandons des réparations financières », a ajouté pour sa part Meherzia Belabed.
« Préservez la liberté, c'est un acquis précieux ! », s’est-elle enfin adressée aux jeunes générations en guise de conclusion de son audition publique.
Frère de Fadhel Sassi, martyr des évènements de répression de la révolte du pain de 1984, Jamel Sassi esquisse quant lui une critique acerbe du bourguibisme, au moment où une partie de la société tunisienne semble tentée par la nostalgie du paternalisme. L’homme demandera en guise de réparation symbolique que le nom de la Rue de Paris soit changé en hommage à son frère qui y fut tué.
Interrogé sur l’éventualité d’une justice transitionnelle un jour dans son Damas natal, Omar Cheikh Ibrahim, opposant syrien exilé présent dans l’audience, nous répond avec un sourire dépité : « Il ne faut pas rêver ! En Syrie, cela me paraît une chimère tellement éloignée ».
Seif Soudani