Syrie : « Ce sont des crimes que nous n’oublierons jamais »
Alep, ville où a commencé le conflit syrien lorsque le régime a réprimé durement des manifestations pacifiques pour la démocratie en 2011. Plus de cinq ans plus tard et une complexification du conflit due au nombre de nouveaux belligérants impliqués, le régime a repris Alep. La réalisatrice Hala al Abdallah, membre de l’association Souria Houria regroupant des Syriens vivant à présent en France, analyse cette nouvelle étape du conflit avec lucidité et garde tout de même espoir pour son peuple.
LCDL : Que penser de cette résolution du conseil de sécurité de l'ONU concernant les habitants d'Alep ?
Hala al Abdallah : C'est une décision qui arrive trop tard bien sûr. Elle est également incomplète. Ca ne tient pas compte du fait que l'avenir peut être pire. C'est ce qui nous inquiète tous maintenant. A chaque fois il y a un début de réaction qui vient après les massacres, mais jamais pour empêcher que ça arrive.
Ce que l'on voit depuis six ans en Syrie, c'est qu'il y a une petite réaction, mais c'est toujours après. Avec Alep, il y a eu un réveil des consciences des gens, pas seulement des Nations unies. C'est dommage que ce réveil n'ait pas eu lieu depuis le début. Ce qui nous inquiète aussi c'est la force que la Russie donne de plus en plus au régime. Russie qui se moque du monde entier. Ils continuent à bombarder, ils continuent de légitimer l'existence du régime.
Maintenant tous les Syriens de l'intérieur sont rassemblés à Idleb. Tous ceux qui ont été obligés de quitter leurs maisons à Homs, et d’autres villes, où a eu lieu exactement le même scénario qu'à Alep : encerclement de la ville, siège pendant des mois, bombardement et les civils obligés de sortir. A Idleb, il y a aussi des islamistes donc les civils sont coincés entre les islamistes et les bombardements. Le même scénario va recommencer et est-ce qu'il y a eu un pas avant contre ça ? C'est ça la question aujourd'hui. Est-ce qu’il y eu un pas empêchant les Russes de bombarder, empêchant les escadrons russes de prendre le ciel syrien comme si c'était le leur… ?
Depuis le début, Bachar al Assad et ses alliés ont agi à leur guise. Est-ce que ce dénouement, à Alep, a un goût amer pour les Syriens ?
Je pense que le peuple syrien, depuis les deux premières années, a bien compris qu'il est seul dans sa lutte contre les tyrannies. D'abord c'était le régime, puis les islamistes mais le peuple syrien n'a jamais été soutenu.
Dans les premières années, quand il y a eu des zones libérées et qu'il n'y avait pas encore les islamistes, quand les Syriens arrivaient à libérer des zones, on voulait juste que le régime ne vienne pas bombarder tout de suite. Mais le régime a récupéré et a laissé les islamistes récupérer du terrain. Nous voulions que le ciel soit contrôlé et protégé, qu'il n'y ait pas de bombardement de la part du régime, mais il n'y a pas eu un retour de la part des Occidentaux à l'époque.
Par contre, quand il y a eu une histoire concernant les Kurdes récemment, les Américains ont pu les protéger. Les avions américains ont pu protéger le ciel pour que les forces au sol avancent. Mais pour les Syriens ils n'ont jamais fait ça. Ni les Américains, ni les Européens. Ils ont laissé le régime bombarder quand ils voulaient, avec cette invention de lâcher des barils explosifs. Ce sont des crimes que nous n'oublierons jamais. Comment a-t-on pu laisser le régime bombarder son propre peuple d'une façon aussi incroyablement atroce et sauvage ? En visant des écoles, des marchés, des boulangeries, des hôpitaux surtout, des crèches et tout ça devant un silence terrible de la part du monde entier.
L’envoi d’observateurs de l’ONU est-il une bonne chose pour la suite du conflit et l’avenir de la Syrie ?
Mais les observateurs sont arrivés pour faire quoi ? Maintenant que la ville est détruite et que les gens en sont malheureusement partis. Ils ont quitté leurs maisons tandis que les occupants russes et iraniens sont sur place, se montrant incroyablement méprisants envers les Syriens qui n'ont pu sortir ou qui sont dans les autres quartiers. On voit les officiers russes et iraniens se balader comme si la ville leur appartenait. Donc je ne vois pas ce que les représentants des Nations unies vont faire à Alep. Il fallait aller à Idleb pour empêcher les bombardements sur la ville, avec leur présence physique. Mais ils vont peut-être bouger après, comme d'habitude.
Le conflit ne va pas se terminer rapidement c'est sûr, mais je pense qu’avec toutes les déceptions et le prix, très cher, que les Syriens ont payé jusqu'à aujourd'hui, ils arrivent à comprendre et à apprendre que seuls, vraiment seuls, ils vont pouvoir un jour se libérer mais ça prendra beaucoup de temps, d'énergie et de sacrifices.
Je crois aussi que nous comprenons que c'est à nous de nous dresser ensemble, parce qu'on ne peut pas nier que face au régime, tout le monde se dispute, se déchire, nous ne sommes pas unis. Nous ne sommes pas réellement sur la même longueur d'ondes, dans la même direction. Ca rend les autres plus forts, plus efficaces malheureusement.
Nous comprenons de plus en plus que nous devons revenir à notre début, à notre révolution pour la liberté et la dignité. Et surtout d'être ensemble et de ne pas laisser les autres profiter de nos différends et de notre dispersion. Mais je crois toujours en mon peuple et je crois toujours que nous allons voir un jour le bout du tunnel et que nous nous débarrasserons de toute sorte de tyrannie, y compris le régime et les islamistes. Malheureusement c'est un prix énorme. Mais un peuple qui s'est mis debout ne se met jamais à genoux de nouveau.
Propos recueillis par CH. Célinain