Taxi Chouchou
Au volant de son taxi blanc, Taxi Chouchou, c'est comme cela qu'elle désire être appelée, déconstruit les stéréotypes d’une société algérienne profondément patriarcale. Elle nous raconte son choix, nous confie les difficultés rencontrées chaque jour dans son métier. Sourire au visage, elle est pleine d’espoir.
Kahina Bordji : Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Taxi Chouchou : Le métier de chauffeur de taxi a été un choix. Je voulais travailler à mon compte, avoir une profession qui ne serait pas routinière. Et puis, je connais très bien la ville d’Alger. A l’aise au volant et aimant le contact, c’était une évidence pour moi de devenir taxi. Toutes ces rencontres sont une véritable ouverture sur le monde. Les clients étrangers me parlent de leurs cultures, de leurs pays. J’apprends beaucoup de choses. C'est un métier très enrichissant.
A quels types de difficultés, êtes-vous confrontée au quotidien ?
Mes courses en taxi se passent bien, le problème se situe au niveau de l’environnement. Dans la société algérienne, une femme, à l’extérieur, ne cesse de se faire embêter. A partir du moment, où elle met un pied dans la rue, les ennuis commencent. Pas besoin d’être taxi, le simple fait d’être une femme constitue un souci. Du fait du climat social : chômage, aucune perspective d’avenir, ces jeunes ne sont pas considérés. C’est pour ces raisons qu’ils portent beaucoup de frustration en eux et se mettent à embêter les femmes. C’est une façon de reprendre le dessus, de se valoriser, retrouver un peu d’estime. Une femme qui passe dans la rue devient une cible, elle essuie tous types de moqueries. En tant que femme, je n’échappe donc pas à leurs méchancetés. Le fait d’être taxi devient une occasion supplémentaire. Quand j'attends un client, certains passants viennent me demander de déguerpir. On ne peut pas comprendre le raisonnement de quelques frustrés, ignorants.
Vous avez été récemment victime d’une agression. Votre agresseur a-t-il été retrouvé ?
Effectivement, j’ai été, il y’a quelques temps, victime d’une agression physique assez violente. Une procédure a été enclenchée. Les médias ont été mis au courant de cette affaire, mais l’agresseur court toujours. Il existe une loi en Algérie concernant ce type d’agression mais elle n’est jamais appliquée. Ces gens là se sentent puissants. Même si je me rends au commissariat, que j’engage une procédure, rien ne sera fait pour les punir. Il existe une véritable impunité qui ne fait qu’accroitre ce genre de violences verbales et physiques.
Faites- vous des concessions concernant votre féminité ?
Non, je suis très féminine. Mes tenues sont faites de robes courtes, de jupes, je me maquille et cela même dans mon véhicule, ce qui souvent fait sourire les clients. Par contre, il m’arrive d’être un peu masculine dans mon comportement. C’est une nécessité dans cette société. Par exemple, lorsque j’arrive dans un parking, il est nécessaire d’hausser le ton pour s’imposer. D’employer un certain vocabulaire pour obtenir un emplacement. En d’autres termes, il faut s’adapter pour s’imposer. Je me comporte comme un mec dans ces moments, mais c’est la société qu’il l’exige.
Peut-on espérer une évolution de la société vers plus de parité ?
Oui, les statistiques me laissent croire que l’évolution se fera forcément dans un sens positif. Il y’a davantage de femmes dans les universités que d’hommes. Dans les autres villes, les femmes suivent également une scolarité. Chaque année, elles sont plusieurs milliers à obtenir des diplômes de l’enseignement supérieur. Certaines font le choix de rester à la maison, quand elles sont mariées, pour s’occuper des enfants. La majorité préfère étudier et par la suite travailler. On voit beaucoup plus de femmes médecins dans les hôpitaux, d’avocates dans les tribunaux, il y a même des juges femmes. Le changement se fait au fil des années. Evidemment que la société algérienne ne connait pas encore la parité mais il faut lui laisser du temps. Je reste très optimiste et je crois en la femme algérienne et en son courage.
Propos recueillis par Kahina Bordji