Commémoration du 6 février, entre devoir de mémoire et récupération politique

 Commémoration du 6 février, entre devoir de mémoire et récupération politique


Quatre ans après l’assassinat considéré comme « politique » de Chokri Belaïd, sa famille exige toujours « la vérité » sur la liquidation physique du leader de l’opposition d’extrême gauche. Entre temps la cérémonie de commémoration a été entachée d’une polémique politicienne.



Celui qui fut de 2011 à 2013 un critique virulent de la troïka au pouvoir, et plus particulièrement d’Ennahdha, avait été assassiné en plein jour par balles le 6 février 2013 dans le quartier résidentiel Menzah 6. Une crise politique d’ampleur nationale allait s’en suivre, dont les remous continuent à ce jour.


Mais bien que le meurtre ait été revendiqué par des djihadistes ralliés au groupe Etat islamique, au même titre que celui de Mohamed Brahmi, en juillet 2013, que l’enquête ait abouti à l’implication de cette mouvance jihadiste, et que les forces spéciales aient abattu début 2014 l’exécutant présumé, Kamel Gadhgadhi, la famille du martyr réclame toujours « la vérité », et ses partisans entonnent encore le leitmotiv « qui a tué Chokri » ? La mort avérée en Syrie de Marwen Belhadj, conducteur présumé du scooter ayant transporté le tireur, n’y a rien changé.


Deux explications à cet entêtement : le procès de 24 autres personnes suspectées d'implication va de report en report depuis plus d'un an et demi. C’est là l’explication la plus rationnelle et objective à l’inachèvement du deuil de la famille. Car par ailleurs les bases et les dirigeants d’Ennahdha, toujours premier parti à l’Assemblée, accusent la famille du martyr et le Front Populaire de vouloir à tout prix désigner un « coupable moral », l’islam politique dans son ensemble.   


« Nous savons que l'assassinat de Chokri Belaïd est un crime d'Etat, qu'il y a des institutions impliquées. Donc on essaie de pousser pour connaître la vérité », affirmait lundi Besma Khalfaoui Belaïd. Pourtant la veuve de Belaïd semble entretenir de bons rapports avec l’actuel président Béji Caïd Essebsi, aujourd’hui allié indéfectible d’Ennadha. C’est là toute l’ambiguïté de ce dossier difficile à appréhender pour les observateurs internationaux, tant les enjeux locaux sont complexes.  


 


« Récupération politique »


Tandis que la prochaine audience du procès Belaïd est fixée au 14 avril, une "cérémonie contre l'oubli" a été organisée sur les lieux du drame, en présence du Premier ministre Youssef Chahed. Le président Essebsi a parallèlement inauguré en centre-ville de Tunis une place au nom de l'ancien opposant, l'ancienne Place des droits de l'Homme, rebaptisée pour l'occasion. C’est là que la stèle dévoilée pour l’occasion n’a pas manqué de choquer la plupart des Tunisiens : inscrits en gros caractères dorés au centre de la plaque, le nom du président de la République, celui de Chokri Belaïd étant relégué en bas, plus petit, plus discret.


Tollé à commencer par les internautes qui dénoncent la réapparition du logiciel et des pratiques de l’ancien régime, où tout était à la gloire d’un hyper président, en l’occurrence au mépris d’un symbole national. « Enlevez votre marbre votre excellence », ou encore « la prochaine fois contentez-vous des initiales C. B. pour le martyr », pouvait-on lire entre indignation et railleries.


La bourde de trop ? Via l’un de ses conseillers, la présidence affirme ce soir qu’elle « n’est pas à l’origine de la conception de la plaque en question ». Pour autant, la polémique ne retombe pas, y compris auprès de la famille qui, interpelée à son tour, a effacé le nom du président sur les photos qu’elle a prises sur place, signe qu’entre le pouvoir et cette gauche qui le soutenait encore du bout des lèvres, rien ne va plus.


 


S.S