L’Assemblée adopte la loi relative à la dénonciation de la corruption
A l’issue d’un marathon législatif, l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) a adopté mercredi 22 février en fin de journée la version amendée de la loi organique relative à la dénonciation de la corruption et à la protection de ses dénonciateurs, par une unanimité de 145 voix pour, 0 voix contre et 0 abstention. Un évènement charnière en Tunisie où le phénomène de la corruption, qui gangrénait déjà le pays avant 2011, est perçu comme étant en progression depuis la révolution.
L’ARP avait entamé plus tôt en plénière l’adoption article par article de la version amendée du projet de loi relatif à la dénonciation de la corruption et à la protection de ses dénonciateurs, initialement composé de 46 articles, puis revu à la baisse avec au final tout de même pas moins de 36 articles après amendement.
Défini comme loi organique (soit deuxième, directement après la Constitution, dans la hiérarchie des lois), le texte prévoit la mise en place des mécanismes de dénonciation de la corruption et de protection de ses dénonciateurs, « de manière consacrer les principes de transparence, d’intégrité et de redevabilité ». Il définit également les conditions et diverses procédures de dénonciation de la corruption et de protection de ses dénonciateurs. Le texte dresse enfin également la liste des sanctions envisagées contre toute personne qui s’avise de révéler l’identité du dénonciateur.
Particulièrement important le texte clé de l'article 23 de la version amendée de la loi (article adopté à 130 voix pour) donne des garanties de protection des dénonciateurs de corruption en coordination avec les autorités. L'article insiste sur la nécessité de fournir l'encadrement juridique et psychologique des dénonciateurs. Il stipule qu’ils doivent aussi avoir « les outils de dénonciation immédiate contre tout danger qui les guettent ou menace les personnes en lien avec la dénonciation de corruption ».
Particulièrement répressif, l'article 33 de la même de loi condamne de six mois à deux ans de prison chaque personne qui essaye de prendre sa revanche ou menace les dénonciateurs de corruption. L'atteinte à l'intégrité physique des dénonciateurs est quant à elle sanctionnée de cinq à dix ans de prison.
Antenne tunisienne de Transparency international, la jeune ONG I-Watch s’est aussitôt félicité de l’adoption de la loi dans les réseaux sociaux.
Une loi utopiste ?
Si la corruption dans la Tunisie post-révolution fait couler beaucoup d’encre, le phénomène est omniprésent ailleurs dans le monde, notamment dans « les pays du sud » européens. En Grèce et en Espagne il a causé des crises globales et systémiques. Plus récemment en France, corruption et népotisme pèsent comme sujet central de la campagne présidentielle. Même chose au Brésil où un ministre accusé de corruption est devenu juge anti-corruption. Transparency International elle-même n’est pas épargnée : le président de la branche chilienne de l’ONG fut en effet contraint de démissionner suite à la révélation de ses liens avec les Panama Papers.
Alors phénomène inhérent à la « nature humaine » ? D’aucuns arguent que cela n’est pas une raison pour ne pas le combattre sur le front législatif. Cependant on est en droit de se demander pourquoi de vieilles démocraties n’ont eu recours à de telles batteries de lois que face à des cas particuliers, tels que le programme de protection de témoins anti mafia en Italie ou aux Etats-Unis.
Au Maroc, un numéro vert et un portail web avaient été mis en place en 2015 par le ministère de la justice pour dénoncer la corruption, probablement sans suffisamment de recul aujourd’hui pour juger de l’efficacité de la mesure.
Conscientes du phénomène tout aussi humain et contre-productif des délations et dénonciations mensongères (adversaires politiques, conjoints et autres personnes simplement désireuses de diffamer ou nuire à autrui), beaucoup de sociétés hésitent ou s’abstiennent de légiférer sur ces questions laissées au code pénal traditionnel, sans recours à une quelconque spécialisation.
La tentation d’une société de justiciers, où de l’idéal d’une « société d’huissiers » ironisent certains, rappelle par ailleurs de mauvais souvenirs aux européens de l’est où l’on dénonçait son prochain de façon inquisitoire pour soupçons de non appartenance idéologique au socialisme, parmi d’autres réflexes.
Quoi qu’il en soit, cette nouvelle loi tunisienne devrait pallier le manque de prérogatives des commissions d’enquête parlementaires qui ont prouvé leur inefficacité jusqu’ici en la matière, à l’image de celle consacrée au scandale des Panama Papers, commission accusée de passivité et de noyautage par des éléments en lien avec les partis politiques concernés par l’investigation…
Seif Soudani