Rachid Grim : « Bouteflika veut montrer qu’il y a un changement dans la gouvernance du pays »

 Rachid Grim : « Bouteflika veut montrer qu’il y a un changement dans la gouvernance du pays »

Le nouveau Premier ministre algérien


Rachid Grim est un politologue algérien. Quelle analyse fait-il de la nomination du Premier ministre Abdelmadjid Tebboune et de son gouvernement ? A-t-elle un lien avec la présidentielle de 2019 ? Entretien.


LCDL : Le nouveau gouvernement est connu et pas moins de  15 nouveaux ministres sont nommés. Quelle lecture en faites-vous ?


Rachid Grim : Après les élections législatives du 04/05/2017, il était logique et  naturel de remanier le gouvernement. En application des dispositions de la nouvelle constitution qui avait pour ambition de rééquilibrer les pouvoirs et mettre un peu plus de « démocratie » dans la vie politique, il fallait tenir compte des résultats chiffrés des élections et organiser le gouvernement en tenant compte de la nouvelle donne parlementaire.


Il n’était bien entendu pas question de changer de système politique, qui reste exactement ce qu’il a toujours été – un système très fortement centralisé, organisé autour d’un président de la république omnipotent et tout puissant – mais il fallait montrer à l’opinion publique que les choses avancent en Algérie en matière de gouvernance politique.


La surprise du nouveau gouvernement réside en fait dans le nom et la personnalité du nouveau Premier ministre. Tous les observateurs politiques étaient convaincus que Sellal resterait à la tête du gouvernement. Il en avait le profil adéquat : fidélité inébranlable envers le président, expérience, connaissance parfaite des rouages, etc.


Son éviction doit être mise sur le compte de l’effritement continu de son image d’homme d’Etat envers les citoyens, les partis politiques, la société civile et surtout son incapacité à résoudre réellement les effets de la crise financière et économique, en dehors des effets d’annonce dont il s’était fait une spécialité. Sa longue période de gouvernance qui a coïncidé avec la maladie handicapante du président de la république et le peu de résultats qu’elle a eus, a fini par inquiéter sérieusement tous ceux qui comptent dans la sphère économique (privée et publique, nationale et étrangère) quant à la volonté et à la capacité du gouvernement algérien de faire efficacement face à la crise financière qui a complètement bloqué le processus de développement et qui risque de mener à une explosion sociale qui sera le tombeau du système de gouvernance actuel.


Il s’agit en fait d’un signe que le président envoie à tout le monde pour dire qu’il est conscient de la situation et qu’il et entrain de prendre les mesures qui s’imposent. Est-ce qu’il sera entendu ? Cela est une autre affaire.


Le remerciement de Ramtane Lamamara et à un degré moindre de Noureddine Bouterfa, que d’aucuns ont crédité d’un bon bilan à la tête de leurs départements ministériels, a surpris plus d’un. Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont  causé la perte de ces deux ministres ?


La désignation d’un nouveau gouvernement a été l’occasion de mettre un terme à une énormité organisationnelle qui a longtemps fait les gorges chaudes des observateurs politiques : un ministère des Affaires étrangères – ministère de souveraineté – à deux têtes.


Il fallait absolument mettre un terme à cette situation anormale et redonner une seule voix à la politique extérieure du pays. Il semblerait que le président ait donné la priorité aux problèmes de sécurité internationale, à la lutte antiterroriste, à l’Afrique dans toutes ses facettes, au Maghreb et au Monde arabe. Ce sont là des domaines où Abdelkader Messahel excelle.


Ajoutons que le nouveau ministre est réputé très proche du clan présidentiel et qu’il est aussi un vrai fidèle de Bouteflika. Ils sont absolument en phase sur ce que doit être la politique étrangère du pays, en tant que moyen de remettre l’Algérie au centre des puissances qui comptent dans la Région.


C’est peut-être aussi un signe important  envoyé au monde (EU, Europe, Monde arabe, Afrique) que quelque chose de sérieux se prépare pour relancer le Maghreb et lui redonner la place qu’il mérite dans le concert mondial.


Ramtane Lamamra, quant à lui ne restera sans doute pas au chômage : ses compétences professionnelles reconnues de tous l’enverront certainement assez rapidement vers un poste diplomatique de très haut niveau.


Quant à l’éviction de Nourredine Bouterfa, elle semble être le fruit d’une colère en haut lieu en relation avec un article dithyrambique du magasine « Jeune Afrique » qui avait fait de lui « le sauveur de l’OPEP », à la suite de « l’accord d’Alger sur la réduction de la production d’hydrocarbures dans et hors OPEP ». Le pouvoir algérien n’aime pas qu’il y ait des personnalités hors normes en son sein (en dehors bien entendu du Chef) qui soient reconnues comme telles à l’international.


Il y a peut-être aussi lieu de dire un mot sur l’éviction de l’ex ministre de l’Industrie et des Mines,  Abdeslam Bouchouareb, que l’on croyait intouchable et qui avait pour mission de piloter le programme de relance économique. Son éviction a un lien direct avec ses résultats peu reluisants à la tête de son département ministériel : point de relance économique, point de réorganisation du secteur public économique marchand, point de relance de l’investissement national et des IDE, etc.


Il convient d’y ajouter les soupçons de corruption qui pèsent sur lui (Panama Papers) et surtout son comportement absolument incompréhensible envers l’homme d’affaire Issad Rabrab dont il a juré la perte et qui non seulement lui a résisté, mais continue imperturbablement son chemin de grand industriel international et très fortement patriote.


L’éviction de Bouchouareb est peut-être un signe envoyé par le président aux nombreux entrepreneurs privés algériens qui montrent des signes évidents d’intérêt pour l’investissement local, à condition d’améliorer très fortement le climat des affaires qui a longtemps souffert du comportement des gouvernants et de l’Administration algérienne.


Qu’en-est-il de la nomination de Tebboune comme chef d’orchestre ? Quelles sont les motivations qui ont présidé à ce choix ?


Pour montrer que les choses sont en train de changer au niveau de la gouvernance du pays, Bouteflika a jugé qu’il fallait procéder à un renouvellement du personnel politique de haut niveau. Sellal a fait sont temps et son image auprès de l’opinion n’a pas arrêté de se dégrader. Pour le changer, il semble que le président ait opté pour un geste symbolique : remplacer un responsable  qui depuis quelques temps semble donner de lui une image de promoteur d’une politique d’austérité qui, de l’avis d’une majorité, ne peut qu’aboutir à l’aggravation de la crise économique et sociale. L’épisode de l’adoption controversée de la Loi de Finance pour 2017 en est l’image presque caricaturale.


Tebboune donne de lui l’image d’un ministre plutôt « dépensier » spécialisé dans la « distribution » (à titre gratuit ou très peu onéreux) de logements. Pour la majorité, il est le symbole d’une politique massive de construction (et de distribution) de logements, qu’il affirme vouloir continuer.


Il s’est par ailleurs construit, en tant qu’intérimaire du ministre du Commerce, une réputation de chantre de la rationalisation des dépenses d’importation et de protection de la production locale. Politique qu’il continuera certainement de promouvoir en tant que Premier ministre.


Le choix de Tebboune s’explique aussi par sa proximité avec le clan présidentiel, sa fidélité envers la personne du président (qu’il cite à tout bout de champ) et son manque d’ambition personnelle pour la succession de Bouteflika.


Cette nomination n’est-elle pas liée à la présidentielle de 2019 ?


Bien entendu qu’il y a un lien avec la succession de Bouteflika. Ce dernier prépare certainement cette prochaine étape qui risque de produire un certain nombre de surprises. Dont une qu’on ne peut certainement pas effacer d’un revers de la main : la préparation d’un cinquième mandat qui ne sera rejetée que dans une seule situation, une aggravation inéluctable et visible de la santé du président. S’il reste dans le même état physique et intellectuel, tout porta à croire qu’il ira à un cinquième mandat.


En fait tout semble indiquer que c’est sur ce scénario que le clan Bouteflika travaille : politiquement, le président est le seul maître à bord. Il a éliminé toute velléité de concurrence des hommes du sérail, quel que soit le parti auquel ils appartiennent ou les supports plus ou moins puissants dont ils se revendiquent. Le dernier en date, Sellal, vient de se voir remercier de manière quelque peu cavalière.


Dans le cas où le président serait dans l’incapacité de se représenter (décès ou aggravation de son état de santé), un autre scénario entrera en jeu, faisant jouer le processus prévu par la constitution : présentation de candidats par les partis, avec l’assurance d’un candidat de consensus des partis de l’alliance présidentielle, soutenu par toutes les composantes du pouvoir (armée, services de sécurité, organisation de masse, Administration, etc.)


Le nouveau Premier ministre peut-il réussir là où son prédécesseur a échoué ?


La question est posée. La réponse dépend de nombreux facteurs : le sérieux et la faisabilité du programme de relance économique et le courage politique du Premier ministre face aux blocages de toutes sortes qui ne manqueront pas de s’opposer frontalement à lui (y compris celui de l’Administration qui jusque là n’a été qu’un frein très puissant au développement et à la croissance).


Tout dépendra aussi de la réaction de la rue (manipulée ou pas) aux décisions inévitablement impopulaires que le gouvernement prendra pour la mise en œuvre du programme économique et social de sortie de crise.


Propos recueillis par Yacine Ouchikh