Economie : le diagnostic alarmant d’Elyes Jouini
L’ancien ministre des réformes économique Elyes Jouini, pressenti un temps pour présider le gouvernement, est l’actuel vice-président de l’Université Paris-Dauphine. Dans une tribune accordée à la TAP, il livre une lecture pour le moins préoccupante de la situation économique du pays qui aurait selon lui besoin d’un « électrochoc généralisé ».
Pour l’ancien ministre, la Tunisie est actuellement « prise dans un tourbillon destructeur de valeur » et connait un dérapage budgétaire qui nécessite des emprunts de plus en plus lourds ce qui monopolise la capacité financière des banques et étouffe l’investissement, la production n’est pas au rendez-vous et les rentrées fiscales s’amenuisent ce qui amplifie le dérapage budgétaire.
La Tunisie, dont la note de crédit attribuée aux dettes à long terme vient d’être abaissée par Moody’s et dont les avoirs en devises ont atteint un seuil critique (ils couvrent à peine 90 jours contre 120 l’année dernière) a besoin « d’un choc multidimensionnel » pour sortir de « l’engrenage », préconise-t-il.
Le tableau est noir et la Tunisie peine à se remettre debout notamment en ce qui concerne « la bataille pour la justice fiscale, la résorption de l’économie parallèle et le redressement de l’économie ».
Dépréciation du dinar et augmentations salariales
Selon Elyes Jouini, l’absence de début de réponse aux attentes légitimes en matière de progrès social a cristallisé les revendications sur les augmentations de salaire et sur l’emploi public, détruisant la compétitivité de notre économie et lestant administration et entreprises de poids morts.
La consommation a été artificiellement entretenue, notamment par les augmentations de salaires, mais cette consommation se fait de plus en plus en faveur de produits importés aggravant le déficit commercial et celui de la balance des paiements qui se résolvent par une dévaluation larvée du dinar, qui flirte aujourd’hui avec les 2,9dt pour 1 euro.
L’économie parallèle continue de prendre de l’ampleur
Hélas, cette dévaluation n’entraîne aucune amélioration de notre compétitivité ni de rééquilibrage de la consommation en faveur de la production domestique en raison même des augmentations de salaire et de l’inflation qui l’accompagne. Une situation difficilement tenable pour le consommateur comme pour le producteur et le commerce parallèle prend de l’ampleur privant du coup l’Etat des ressources correspondantes.
Les besoins de financement toujours plus grand de l’Etat conduisent à une instabilité fiscale avec des taxes exceptionnelles qui découragent les investisseurs nationaux et étrangers, car ils doivent désormais faire face au risque économique intrinsèque à toute activité productive mais également au risque fiscal auquel s’ajoute le risque-pays pour les étrangers.
L’engrenage dans lequel se trouve prise notre économie nécessite désormais un choc, car si elle n’est pas rapidement traitée, la situation risque de devenir, à très court terme, économiquement ingérable et socialement explosive avec un système de retraite sur le point d’imploser et une masse salariale publique sur le point d’exploser.
Le regain de popularité acquis par le gouvernement dans le cadre de sa politique de lutte contre la corruption ne doit pas être une fin en soi mais servir au contraire à légitimer la bataille essentielle pour la justice fiscale, pour la résorption de l’économie parallèle et pour le redressement de notre économie, estime-t-il.
Il y a des urgences sérieuses à traiter et il faut les traiter sérieusement via des procédures exceptionnelles sur le plan juridiques qui doivent être pensées et mises en œuvre pour fluidifier à nouveau l’investissement.
Le rôle des groupes d’intérêts
Les obstacles prévisibles sont nombreux. Ils peuvent venir de groupes d’intérêts, des lobbies qui entretiennent des liens forts avec le système politique, de l’inquiétude au sujet des conséquences sociales des réformes et de la rupture de la cohésion sociale qu’elle risque d’entraîner, des « mythes » sur le caractère nécessaire du statu quo et sur le caractère coûteux des réformes ainsi que de l’absence de pédagogie et « d’argumentaire » largement accepté en faveur de la réforme.
C’est pour cela que le calendrier de la mise en œuvre est très important et le risque de « fatigue politique » ne doit pas être sous-estimé.
A quelques jours du remaniement ministériel attendu pour l’après aïd, le constat pourrait bien valoir à Jouni d’être rappelé en Tunisie en vue d’un nouveau poste ministériel.
S.S