Faites l’amour avec les ânes
« Les réseaux sociaux sont-ils maîtrisables ? » A cette question posée par un haut fonctionnaire de l’état, ma réponse par l’affirmative a suscité un intérêt évident. Normal, l’agitation, l’activisme des réseaux sociaux, les appels à manifester, les accusations à l’emporte pièce et les fake news, donnent bien des cheveux blancs à tous les hommes politiques.
« Pour maîtriser la nuisance des réseaux sociaux, il suffirait de pratiquer l’éthique en tout lieu et tout moment, il suffit que les fonctionnaires arrêtent de marchander un service public gratuit, que les postes dans l’administration ne soient plus réservés aux rejetons de l’élite, que les juges arrêtent de pratiquer un droit au service des puissants, que … », mon interlocuteur balaie mon argumentaire avec un agacement évident.
En fait ce, que je voulais expliquer, c’est qu’à partir du moment où les informations fausses ou invérifiables prolifèrent sur les réseaux sociaux, amplifiées par des communautés qui les diffusent en un clic, autant pratiquer la transparence pour éviter de donner prise aux bad buzz.
L’essentiel, c’est de savoir que le danger inhérent aux réseaux d’information et de communication n’a de réalité que si les causes ou ressources exclusives de l’action contestataire en ligne correspondent à une réalité, à un vécu réel.
Dans un monde submergé par la communication de masse individuelle, les mouvements sociaux et l’insurrection tant redoutée ne sont pas en mesure de diriger et encore moins de provoquer des mobilisations citoyennes si la démocratie est une véritable réalité dans le pays.
D’une manière générale, des informations totalement fausses ou biaisées sont massivement relayées sur les réseaux sociaux, des intox en série prolifèrent sur Internet et résistent parfois même aux démentis les plus radicaux.
Quand un journal de caniveau, spécialiste des bobards les plus sordides lance un canular en forme de scoop, l’histoire fait le tour du monde avant de déboucher sur les immondices les plus puants sur le Marocain et ses complexes sexuels, jetant l’anathème sur une population incapable de gérer ses fantasmes sexuels les plus abjects, surtout que ce tintamarre tombe juste après la fameuse vidéo de jeunes harcelant une jeune fille dans un bus.
Des jeunes contaminés par la rage après avoir pratiqué la sodomie sur un âne ! Rien que ça. Ce n’est plus le rapport à la vérité qui importe mais l’histoire, vraie ou fausse qui déchainera le plus de passions. Bien entendu, cette histoire de la « bête et la belle » revue et corrigée par un journaleux en mal de notoriété et qui se révèlera fausse, totalement fantaisiste a été reprise par la plupart des médias, comme une preuve de plus de la dépravation de la jeunesse de ce pays.
Le Maroc n’est pas le seul à être touché par ces maladies inhérentes au web, malgré la censure, les réseaux sociaux et à leur tête, Facebook sont devenus, avec plusieurs millions de comptes, à la fois le média et la plateforme d’échange les plus populaires dans les pays arabes. Aujourd’hui le paradoxe, c’est qu’il faut se proclamer champion en défense des droits de l’homme, parce que la mondialisation l'impose et que les citoyens l'exigent, mais aussi savoir manier la trique à profusion, parce que le peuple veut de l'autorité, de la poigne. Il faut s'affirmer moderne, pour se différencier des wahhabites, et promettre plus de respect des valeurs traditionnelles, afin de s'attacher le "populo".
Dans ce magma décousu de contradictions, chacun s'efforce de se tailler une place en essayant d’utiliser les plus grosses ficelles car plus c’est gros, plus ça passe. Cette usurpation est intellectuellement révoltante et politiquement inquiétante mais qui peut endiguer le flux dans cette poubelle qu’est le web ?
Abdellatif El Azizi