Une exposition pour prendre conscience des violences faites aux femmes

 Une exposition pour prendre conscience des violences faites aux femmes

« Blessures de femmes » de Catherine Cabrol


Pendant cinq ans, Catherine Cabrol a rencontré des femmes, écouté leurs témoignages, les a photographiées; le but étant de comprendre ce qu'étaient les violences faites aux femmes. Une photo, un témoignage, brut, le tout compilé dans un livre « Blessures de femmes », paru fin 2009 (eds Atlantica). Ce travail est également décliné en une exposition, qui se tiendra à la mairie de Bagnolet, du 17 octobre au 25 novembre. L'artiste revient sur ses motivations et l'évolution des rapports hommes/femmes.


LCDL : Quel a été l'élément déclencheur qui vous a poussé à travailler sur ce sujet ?


Catherine Cabrol : J'ai commencé ce travail, il y a quatorze ans, lorsque j'ai perdu une amie, morte sous les coups de son compagnon. Je suis restée le regard dans le vague pendant beaucoup de jours, à ne pas comprendre, à être choquée. Je n'ai pas de violence dans ma famille, je ne suis pas familiarisée à ça et je n'ai rien vu venir. Cette amie c'est Marie Trintignant. Mais ce n'est pas ce que je dis en premier. C'était « simplement » une histoire de violence conjugale comme il y en a beaucoup. Mais ça a changé ma vie parce que, lui, je le trouvais charmant, je me suis faite avoir.


Quelle a été votre démarche ?


J'ai donc voulu comprendre ce que voulaient dire les violences faites aux femmes. Je suis rentrée par la violence conjugale. Mais après je suis allée dans toutes les violences. Ce sujet, Blessures de femmes, est au pluriel. Il y a toutes sortes de blessures et toutes sortes de femmes. J'ai fait comme un doctorat dans les violences (…) Après j'en ai fait un livre, une exposition, et aujourd'hui je fais des lectures avec ce travail. Mais ma particularité c'est que je demande aux hommes de lire les textes, de s'impliquer. Des hommes, des acteurs, lisent les violences faites aux femmes à la première personne au féminin. Mais je n'ai pas la haine de l'homme, j'ai la haine de la violence.


Depuis le début de votre travail sur le sujet, avez-vous l'impression que les choses ont évolué ?


J'ose espérer que ça a un petit peu bougé. Malgré tout, tout n'est pas réglé. On le voit avec tout ce qu'il se passe aujourd'hui [Affaire Harvey Weinstein, ndlr]. On parle du monde du cinéma mais, à l'époque, j'ai fait témoigner une jeune femme dans le monde du sport, Isabelle Demongeot, qui a été violée par son entraîneur. Cette femme, je l'ai photographiée gamine. A Roland Garros, je la photographiais et je la trouvais très mal à l'aise, très malheureuse. Je lui ai dit 25 ans plus tard, elle était rassurée et contente que j'ai ressenti ça, parce que personne ne le ressentait. Si on cherche un peu, tout ça existe depuis très longtemps, dans plein de milieux (…)


Il faut éduquer les petits à l'école. J'ai adopté une petite fille, qui subit parfois des manques. Pourquoi les garçons ne veulent pas jouer au foot avec elle alors qu'elle joue bien. C'est déjà là que ça se joue. Moi, j'ai changé. Je ne pense pas être la seule au monde. La mort de Marie Trintignant a touché beaucoup de femmes.


Qu'est-il possible de faire pour faire avancer les choses ?


Mon point de vue par rapport à Monsieur Cantat, c'est que s'il avait été celui qu'on pense, ce chanteur intelligent, doué, bienveillant, engagé soi-disant, il aurait dit la vérité. Ça aurait pu changer beaucoup de choses. Il aurait avoué être un homme violent, qu'il doit être soigné pour ça, qu'il doit payer pour ça [En 2004, Bertrand Cantat a été condamné à huit ans de prison, puis est sorti de prison en ayant purgé la moitié de cette peine, ndlr], il aurait été presque exemplaire. Mais il s'est défendu… Ce n'est que mon point de vue (…) A un moment donné, il faut admettre qu'on est nocif et qu'il faut se faire soigner pour ça. Un témoignage comme ça, d'un homme très en vue, ça changerait pas mal de choses. Mais pour l'instant aucun homme ne parle de ça. 


Cette exposition existe-t-elle dans ce but, faire prendre conscience au public ?


Les gens me disent que « Blessures de femmes » est la plus belle exposition sur les violences faites aux femmes. Je veux toujours faire ça dans l'élégance mais par contre je dis les choses. Les photos sont belles, on s'approche et les textes sont féroces. Ils sont à la première personne. Elles nous parlent et elles nous regardent. On ne peut pas y échapper. La façon de prendre des photos, ce regard dans l'objectif signifiait, « parle-moi, dis-moi, n'aie pas peur et je vais le transmettre comme il faut ». C'est politique, je sers à ça. 


Propos recueillis par CH. Célinain