Djerba engloutie et le Sahara aux portes du Tunis avant la fin du siècle ?
« Quand seuls les palmiers dattiers pousseront au nord de Tunis » : scénario catastrophe et pourtant de plus en plus probable « si rien n’est fait ». C’est le cri d’alarme lancé par Gaël Giraud, universitaire et économiste en chef de l’Agence française de développement (AFD). Ce spécialiste du dérèglement climatique était à Tunis les 18 et 19 octobre pour une série de rencontres à haut niveau et des conférences.
Il y a urgence, car « si rien n’est fait pour limiter les émissions de gaz à effets de serre, en 2100, l’été à Tunis ressemblera à celui d’Erbil en Irak », une ville encerclée par un désert aride et inhospitalier, explique Gaël Giraud en marge d’une conférence donnée à l’École Nationale d’Administration de Tunis. Le monde de 2100, c’est demain, « c’est celui dans lequel vivront nos enfants et nos petits enfants ».
Un monde où Djerba et Kerkennah, de même que de nombreuses villes côtières tunisiennes, ne seront plus que des souvenirs engloutis par les eaux. Bien avant cela, les dégâts auront été considérables, en particulier dans l’agriculture. Dès 2030, les productions baisseront brutalement, et en 2050, la Tunisie enregistrera une récolte d’olives diminuée de 50 % par rapport aux chiffres actuels. « Lorsque l’on sait qu’un million de personnes vivent de l’oléiculture, on imagine que ce sera un désastre social et économique », met en garde cet ancien de Wall Street reconverti dans l’aide au développement.
Le scénario évoqué (également appelé scénario RCP 8.5) est basé sur les très sérieux travaux du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts du climat) dans l’hypothèse où l’humanité continue à vivre et travailler comme si de rien n’était. Il aboutirait à une hausse des températures de 6 °C à 7 °C à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle.
Dans ce cas de figure, le désert du Sahara aura franchi la Méditerranée pour occuper le sud de l’Europe. Cette évolution, qui se répétera partout dans le monde, provoquera des exodes massifs. « La migration due à la guerre en Syrie n’est que le début des prémices des vrais problèmes. Les déplacés se compteront en dizaines ou en centaines de millions, puisque ce sont les 70 % de la population mondiale vivant sur les littoraux qui sont directement menacés par la montée des océans », détaille le stratégiste de l’AFD.
La schizophrénie de la communauté internationale
Certes, l’Accord de Paris conclu lors de la COP21 en 2015 est une étape importante dans la prise de conscience collective du danger qui menace l’humanité. Le texte approuvé par l'ensemble des 195 délégations prévoit de contenir le réchauffement climatique « bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et si possible de viser à « poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C ». Le changement climatique resterait alors dans une fourchette à laquelle l’humanité pourrait s’adapter.
Il faudrait pour cela des politiques ambitieuses de la part de toutes les parties. Or, la somme des efforts prévus dans les contributions nationales (NDC) présentées jusqu’à présent ne « suffit pas du tout ». « Même si elles étaient respectées, la hausse des températures serait encore de 3,5 °C », s’inquiète M. Giraud.
La Tunisie en première ligne
Ce qui est entrepris aujourd’hui en Tunisie est « globalement très insuffisant ; il n’y a pas assez de projets. Vu le taux d’ensoleillement extraordinaire, il est étonnant que le pays n’ait pas davantage développé le photovoltaïque en particulier », selon l'économiste.
Le pays est pourtant en première ligne : baisse des rendements agricoles, littoral menacé, avancée du désert à un rythme que les hommes, les animaux et les virus peuvent suivre, mais pas la végétation. Il apparait essentiel donc de réfléchir à une stratégie globale et non de penser séparément aux créations d’emplois, à la réduction des émissions de GES et à l’adaptation aux effets du dérèglement climatique.
Pourtant « des solutions existent, et la bonne nouvelle est que la transition énergétique sera extraordinairement créatrice d’emplois », explique l’expert. Des moyens sont également mobilisés au niveau mondial. Il y a le Fonds vert pour le climat, qui est un mécanisme financier de l'Organisation des Nations unies. L’AFD accompagne actuellement les institutions tunisiennes dans leur accréditation de sorte qu’elles puissent recevoir des fonds pour les projets de transition énergétique et d’adaptation au changement climatique. L’AFD finance également de son côté une série de programmes en la matière : SUNREF (soutien aux investissements « verts »), DEPOLMED (réduction des rejets polluants en Méditerranée) ou encore PACTE (adaptation des territoires ruraux).
Ces efforts doivent s’accompagner d’une transition sociale avec une inclusion territoriale et générationnelle dans la transition écologique. Il y a aussi un énorme enjeu de pédagogie dès l’école primaire. Car, si une partie de la société « n’est pas à bord, vous n’y arriverez pas », estime l’économiste français.
« Nous ne sommes pas là pour nous substituer à la décision souveraine du gouvernement, mais nous mettons notre expertise à sa disposition pour co-construire, avec les économistes tunisiens et la société civile, des outils d’aide à la décision publique qui vont permettre de prendre des décisions d’investissement courageuses. Je suis plutôt optimiste : nous avons eu un accueil favorable de la part des ministres que nous avons rencontrés, et il y a des universitaires et des intellectuels de haut niveau ici », conclut M. Giraud.
Rached Cherif