Election de Yassine Ayari à l’Assemblée : un mini séisme secoue la classe politique

 Election de Yassine Ayari à l’Assemblée : un mini séisme secoue la classe politique

Yassine Ayari. Photo Seif Soudani / LCDA


Nul n’y croyait vraiment. Hier soir dimanche, c’est la stupeur à la tombée des premiers chiffres en provenance d'Allemagne qui donnent le blogueur Yassine Ayari vainqueur d’une courte tête sur la liste du candidat du pouvoir Nidaa Tounes au scrutin législatif partiel. Contacté par le Courrier de l’Atlas, le cyberactiviste annonce son retour en Tunisie dans les prochains jours à la suite d’une victoire sans bavure riche en enseignements, un cas d’école où « le système » a péché par excès de confiance. Décryptage.


Lundi 18 décembre, une partie des élites politiques se réveille avec la gueule de bois. Ce qui s’est passé symboliquement le jour de la commémoration du déclenchement de la révolution est d’abord une leçon d’abnégation et de détermination. C’est aussi une démonstration de la portée des réseaux sociaux où l’activiste compte des centaines de milliers de followers. « J’irai à la rencontre des Tunisiens d’Allemagne un par un s’il le faut. Cela tient à peu de choses… La victoire est jouable ! » : c’est en ces termes que l’outsider dissident commentait l’humilité qui commandait le porte-à-porte effectué par sa campagne il y a quelques jours, et pour lequel il s’était mis en congé de son métier d’ingénieur informatique à Paris.


 


23,93% contre 21,31% pour Nidaa Tounes


« La victoire de la liste « Amal » conduite par Yassine Ayari était inévitable. Le système Nahdha / RCD / Nidaa n'a pas su convaincre ni mobiliser la communauté Tunisienne en Allemagne. Absentéisme et Indifférence étaient au rendez-vous, tous les scénarios sont possibles à l'horizon de l'échéance électorale de 2019. Les partis politiques "classiques" sont prévenus ! », commente Amine Abdelli, un tunisien de France, à propos de la toute puissance jadis des réseaux de Raouf Khammassi en Europe, probablement surestimée.  


Avec simplement 1326 électeurs ayant bravé la neige, soit 5,02% de taux de participation, la démobilisation des Tunisiens de l’étranger était en l’occurrence criante, malgré le tapage médiatique autour des enjeux hautement symboliques d’un scrutin initialement qualifié de manœuvre politique en vue de libérer un siège pour Hafedh Caïd Essebsi, qui s’était désisté depuis. Le thème de campagne central de la liste de Yassine Ayari était d’ailleurs à l’origine articulé autour de la raillerie du « fils de son père », histoire de lui barrer la route. Mais Ayari y a pris goût, par sens du défi, sa candidature a survécu à ce retrait.


L’échantillon électoral n’en demeure pas moins proportionnel et représentatif. « Yassine Ayari est la vraie raison pour laquelle les élections municipales sont repoussés. Ennahdha et Nidaa craignent un scénario identique à l'échelle nationale », commente le journaliste de la Presse Karim Ben Saïd.


C’est que cette victoire revêt aussi des allures d’avertissement. Bien que qualifié par ses détracteurs de « populiste », la ligne incarnée par Yassine Ayari constitue une tendance réelle radicalement attachée à la révolution, encore bien présente aussi bien localement qu’à l’étranger où la liste CPR était arrivée troisième lors des législatives de 2014.    


 


Bête noire du politiquement correct et de la pensée dominante  


Fils du martyr officier militaire Tahar Ayari, l’iconoclaste Yassine Ayari est depuis quelques années l’une des bêtes noires de la « bien pensance » moderniste en Tunisie, mais aussi des pragmatiques d’Ennahdha qu’il a mis un point d’honneur à dénoncer depuis le virage normalisateur du parti islamiste avec l’ancien régime. C’est en cela que Mohsen Marzouk, dont le parti est l’un des perdants de ces élections, n’est pas exactement fair play, du moins très approximatif en dénonçant « une victoire du candidat caché d’Ennahdha ».


En 2014, Ayari nous expliquait à l’aéroport Tunis – Carthage les raisons de sa distanciation de ses compagnons de route d’avant révolution. Suffisamment rare pour être soulignée, la victoire d’un challenger est quoi qu’il en soit synonyme de bonne santé démocratique : « la bonne nouvelle c'est que l'ISIE est finalement indépendante ! » ironisent certains, au moment où l’autorité électorale indépendante fait précisément l’objet de soupçons de politisation.


Avant la proclamation finale officielle des résultats, attendue pour le 22 janvier 2018, le ton de la prochaine étape est déjà donné : certains exhument de vieux statuts Facebook du vainqueur pour mieux le diaboliser, tandis que d’autres se félicitent que Samia Abbou n’aura plus désormais le monopole de la parole anarchiste sous la coupole du Bardo.


 


Seif Soudani   


 


Voir aussi : Interview Yassine Ayari, libre !