Municipales : les conséquences d’une arlésienne
MAGAZINE DECEMBRE 2017
Initialement annoncé pour le 17 décembre, date symbolique de la commémoration du déclenchement de la révolution, le premier scrutin municipal post-2011 est finalement repoussé, probablement au 20 mars, voire au-delà…
Un changement de calendrier qui n’a rien d’anodin. Le report des élections municipales en Tunisie nourrit une pesante incertitude, laquelle met en péril les fragiles acquis de la transition démocratique. Cet ajournement est sans doute de la responsabilité collective d’une classe de gouvernants mue par des calculs politiciens. “Une situation intenable”, tempêtent certains.
Quartier résidentiel El-Mourouj, dans la banlieue sud de la capitale : chaque averse de pluies modérées en ce début de saison hivernale inonde très rapidement des infrastructures vétustes, relançant sitôt le débat sur “le fiasco du feuilleton des municipales” parmi les riverains. Même agacement face à l’amoncellement des déchets ménagers, souvent collectés de façon irrégulière, et quel que soit le standing des quartiers.
Imbroglio politico-légal
En cause, les délégations dites “spéciales”, des entités à mi-chemin entre les conseils municipaux et l’autogestion. Leur dissolution initialement prévue neuf mois avant les municipales, est de facto sans cesse reportée. Or, ces structures, survivances du tumulte post-révolutionnaire, se montrent incapables de faire face à des défis à moyen et long terme, faute d’équipements et de stratégie. Alors que la nouvelle Constitution, promulguée en janvier 2014, fait la part belle aux slogans décentralisateurs, la réalité est pour l’instant, sur fond de corruption, celle d’une lente décadence.
A l’origine de la crise politico-légale, un imbroglio provoqué par la démission surprise, en mai dernier, du président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), Chafik Sarsar, ainsi que celles de deux autres membres du bureau : Lamia Zargouni et Mourad Ben Moula. Un départ aux motivations encore floues à ce jour, mais qui a entraîné une politisation inédite d’une Isie à l’intégrité pourtant reconnue internationalement, et jusqu’alors au-dessus de tout soupçon.
Une “manœuvre flagrante”
Car, depuis, le Parlement peine à remplacer les démissionnaires : freinés par le quorum au sein de l’instance, les députés se sont montrés à plusieurs reprises impuissants à pallier cette paralysie, ce qui donne lieu à toutes sortes de spéculations. La majorité parlementaire s’est-elle rendue coupable d’une certaine complaisance vis-à-vis d’une situation qui ne lui est pas imputable, mais qui arrange in fine son agenda politique ?
Selon le leader d’opposition Mohamed Abbou (Courant démocratique), “la manœuvre est flagrante” : “Notre parti est fin prêt, tout comme la plupart de l’échiquier politique, à commencer par Ennahdha, qui a tout à gagner à ce que des élections municipales se tiennent demain. A ma connaissance, seul Nidaa Tounes, parti décimé par ses dissensions internes, souhaite temporiser, ayant tout à perdre s’il venait à s’engager dans cette bataille en l’état”, explique le secrétaire général du Courant démocrate, lequel pressent qu’Ennahdha, complice, laisse en réalité le temps à son allié de se réorganiser.
Une version qui n’a jamais été explicitement démentie par le parti présidentiel au pouvoir, dont le bloc parlementaire, selon l’ONG de vigilance Al-Bawsala, joue clairement la carte de l’absentéisme à l’Assemblée au moment opportun. En attendant, ce sont les Tunisiens qui paient au quotidien en termes de qualité de vie et de services l’hypothèse de moins en moins réaliste d’élections à l’horizon de mars 2018.