L’Islam et la « seconde zone »

 L’Islam et la « seconde zone »

crédit photo : Editions La Découverte


Le sociologue Fabien Truong a enquêté sur les trajectoires de six hommes issus de la banlieue parisienne. Ils ont fait de l’Islam l’outil d’une reconversion aux débouchés parfois tragiques. Une approche à rebours du discours globalisant sur le phénomène de la “radicalisation”. 


Contrairement aux cinq autres, son nom est tragiquement connu de la France entière depuis le 9 janvier 2015 : le parcours d’Amedy Coulibaly est, avec ceux de Tarik, Radouane, Marley, Adama et Hassan, l’un de ceux que le sociologue Fabien Truong retrace dans son dernier opus. Après Des capuches et des hommes (2013) et Jeunesses françaises, bac +5 made in banlieue (2015), il se penche cette fois sur les multiples ressorts de la rencontre, dans la France des attentats, entre ces jeunes issus de territoires stigmatisés, “mauvais garçons de la nation”, et l’Islam.


 


Un univers de garçons où il s’agit d’avoir des “couilles”


Deux sont issus de Seine-Saint-Denis, les quatre autres, dont Amedy Coulibaly, de Grigny, dans l’Essonne. Ils sont inscrits dans l’épaisseur de “la seconde zone”, cet “espace de relations et de représentations qui sanctionnent le fait de vivre à l’écart, dans et par l’illégalité”, à une époque où, en l’absence d’“un récit de renversement collectif”, s’est instauré un “chacun pour soi de classe”. Un univers structuré par les allers et retours en prison et les impératives loyautés et autres dettes en lien avec l’économie de survie. Où le “business” est cette “curieuse machine sociale qui fabrique de la clandestinité, de la rentabilité et de la solidarité dans l’insécurité et la discontinuité”.


Un univers de garçons où il s’agit d’avoir des “couilles”, de se sculpter les “pecs”, et où l’on fait parfois “du sale”. Mais où la générosité, la serviabilité, le courage et la loyauté sont des “valeurs d’hommes” unanimement saluées.


Depuis quelques années, autour du terme de radicalisation, devenu central dans le discours politique et médiatique, la “niche syrienne” s’est invitée dans ce vieux débat français qu’est “la banlieue”. “Ce que l’on nomme aujourd’hui radicalisation tient de la rencontre entre une représentation de sa trajectoire – l’impasse du cercle – et une entrée dans l’Islam fascinée par le geste de la volte-face et le spectacle de la rupture”, résume l’auteur. A travers ses entretiens avec les jeunes, Fabien Truong a croisé de la “réintellectualisation critique” (expérience à la lecture du Coran) et le “confort de la désintellectualisation” (“contre-pente psychologique de chaque conversion”). Entre ces deux penchants, où peuvent se glisser une “réesthétisation du monde” et quelques outils pour comptabiliser “fautes et mérites”, l’Islam va aussi être utilisé dans la mise en scène de tueries par des “terroristes maisons”. Dont les issues tragiques doivent au moins autant à une histoire sociale bien française qu’à l’activisme des réseaux internationaux du jihad.


 


Une précieuse immersion


En janvier 2016, un an après les attentats contre Charlie et l’Hyper Cacher de Vincennes, Manuel Valls, alors Premier ministre, avait déclaré : “Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser.” Aux antipodes de cette sentence, le travail de Fabien Truong démontre au contraire combien le temps long, l’immersion et l’enquête minutieuse sont des outils précieux pour essayer de comprendre les ressorts multiples d’une séquence aussi lourde. 



LOYAUTÉS RADICALES, L’ISLAM ET LES “MAUVAIS GARÇONS” DE LA NATION


Fabien Truong, éd. La Découverte (2017), 210 p., 20 €.


MAGAZINE FEVRIER 2018