Pour une Organisation Mondiale de la Démocratie

 Pour une Organisation Mondiale de la Démocratie

De G à D : Nicolás Maduro Moros (Venezuela)


Il faudrait aujourd’hui se résoudre à créer ce qu’on pourrait appeler une « Organisation Mondiale de la Démocratie » (OMD). Nul n’ignore que l’ONU est une organisation créée essentiellement pour préserver la paix, une paix qui était ostensiblement menacée après la 2e guerre mondiale. Elle n’est pas, malgré ses innombrables documents officiels et résolutions, une organisation vouée à la défense des valeurs politiques, notamment la démocratie et la liberté. L’organisation n’a pas cessé de promouvoir un discours favorable à l’étroitesse  du lien entre la paix, le développement et la démocratie. En vain. Elle a peu réussi en la matière.


En 1945, au sortir d’une guerre féroce, pour être universelle et aller dans le sens de la nouvelle idéologie pacifique, l’ONU a été contrainte d’accepter progressivement tout le monde en son sein. Elle prévoyait certes des exclusions pour non-respect de la charte ou pour agression et recours à la violence. Mais à part un ou deux cas éphémères et rares, aucun Etat n’a fait l’objet d’exclusion. Ni les colonisateurs occidentaux dits « démocratiques », ni les Etats autoritaires dits « nouveaux » ou « indépendants ». Pourtant, si l’ONU était une organisation universelle, prônant les valeurs de droit et de paix, un grand nombre d’Etats voyous auraient pu être « dégagés », comme on dit dans le vocabulaire protestataire d’aujourd’hui. Dans la realpolitik, l’ONU a été faite par les puissants pour les puissants. Les puissants pouvaient, eux, faire des guerres locales de position. Ils ne devraient pas se battre entre eux. La paix dont il s’agit était en réalité la paix entre les grandes puissances, pas avec les autres, guerres sans doutes moins importantes, n’ayant aucun effet sur les rapports Est-Ouest ou riches-pauvres. Les autres Etats pouvaient être criminels, non pacifiques, agresseurs, belliqueux, militaires, théocratiques ou dictatoriaux. Tant qu’ils obtempéraient aux ordres des puissants, ils pouvaient, et peuvent encore, se planquer à l’intérieur de l’ONU qui s’arrangeait pour faire régner le silence autour d’eux. Ce n’est pourtant pas de cela qu’a rêvé le philosophe Kant quand il a jeté les bases de cette nouvelle fondation mondiale.


Hélas, force est de constater que les dictatures n’ont jamais périclité. Il suffit de voir l’une s’éteindre pour qu’apparaisse aussitôt une autre, non moins féroce que la précédente au XXe comme au XXIe siècle. Les nouvelles dictatures sont mêmes devenues des forces nucléaires. Même si on continue de rêver de la dissuasion, et donc de la paix par l’équilibre nucléaire. En attendant qu’un accident funeste pour l’humanité arrive dans une des usines nucléaires ou dans la fabrication et les essais nucléaires. Il y a eu déjà des précédents.


Au sein de l’ONU se côtoient durablement, voire paisiblement, des Etats démocratiques avec des Etats voyous, féodaux et dictatoriaux. Certains d’entre eux pratiquent, ostensiblement, sans gêne, le terrorisme, et ne manquent pas de le financer ; d’autres pratiquent une discrimination impitoyable envers les femmes, d’autres bombardent leurs peuples par des armes chimiques, d’autres imposent une religion par la force, la décapitation ou par l’égorgement, d’autres ont perpétré des massacres et génocides sur leurs populations. Sans parler des régimes autoritaires doux survivant grâce à la complaisance des puissances occidentales. Il suffit de faire semblant d’œuvrer pour la paix, de se prévaloir d’institutions formellement « démocratiques », de faire les yeux doux aux Etats-Unis, à l’Europe, ou, à l’époque, à l’URSS, et à la Russie aujourd’hui, d’investir massivement dans ces pays protecteurs, pour qu’on soit béni par l’ONU ou accepté ou « toléré » par elle et par les puissances qui y sont derrière.


Une Organisation Mondiale de la Démocratie, en accord avec les exigences de notre époque, pourquoi pas ? Elle pourrait constituer une rupture avec cet état de fait et ce laxisme international, qui ne s’évapore conjoncturellement ou miraculeusement que pour des considérations politiques. Cette nouvelle organisation peut établir des critères stricts d’adhésion d’ordre démocratique, exclure nettement de son sein les Etats non démocratiques, quelles que soient leurs origines : occidentales, américaines, latines, asiatiques arabes ou africaines. Elle devrait fonctionner comme une agence de notation en distribuant les bons et les mauvais points, donner et en retirer en cas de besoin, établir des indices de « bonne démocratie » (et pas seulement de bonne gouvernance), encourager les démocraties naissantes ou en transition, les accompagner justement à ce moment précis, parce que c’est à ce moment-là que ces pays en ont le plus besoin.


Une telle organisation pourra exercer un moyen de pression permanent sur les Etats non démocratiques. Ces derniers se sentiront encerclés ou marginalisés sur la scène mondiale. Une alliance militaire pourra accompagner ou soutenir éventuellement l’alliance politique des démocraties du monde. Une véritable alliance inclusive autour des valeurs démocratiques, sans exclusion géographique aucune. Certains Etats non démocratiques pourront peut-être chercher à évoluer ou à y adhérer en changeant de statut pour redorer leur image ou sortir de leur marginalisation. La non démocratie étant une contre-publicité. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’on pourra voir la sincérité des pays occidentaux sur leurs relations et leurs alliances avec les autres Etats et le respect des valeurs qu’ils proclament tout haut dans la diplomatie publique.


 Ne l’oublions pas, ce sont les dictatures qui ont causé la 2e guerre mondiale. L’idéologie de la paix en était la résultante. Mais, le paradoxe, c’est que cette même idéologie de la paix n’a pu enfanter la démocratie ou la liberté à l’échelle universelle, puisque l’ONU, qui n’a pas retenu la leçon de cette même guerre, a encore intégré en son sein toutes les dictatures du monde, donc toutes les guerres et les agressions potentielles. Elle ne les a même pas exclues. Un non-sens. L’ONU a travaillé avec eux, pas contre eux. C’est l’image idyllique des conceptions fonctionnalistes et « coopérativistes », en plein essor à cette époque. L’idéologie de la paix n’a même pas enfanté la paix. Passons alors à autre chose. Trouvons un autre moyen qui pourra être complémentaire ou parallèle à l’ONU, faire pression sur l’ONU même. La solidarité internationale devrait exister entre les pays démocratiques et libres, pas entre la démocratie et la non démocratie.


Il est vrai que la démocratie a relativement avancé dans le monde depuis la 2e guerre mondiale. Il est vrai que les Etats sont de plus en plus enserrés par des conventions, déclarations et normes internationales en provenance des organisations intergouvernementales et non gouvernementales. Ils subissent également la pression des médias, des réseaux sociaux, de l’opinion mondiale et l’influence des progrès des lumières et de la technologie. Il est vrai que la société internationale s’est de plus en plus moralisée, « humanisée », judiciarisée par de multiples cours de justice internationales.


Mais, on est encore loin de la démocratie universelle. Beaucoup d’Etats musulmans, arabes, américains latins (Venezuela), asiatiques, africains ou même européens (Turquie) se situent encore dans la sphère des Etats non démocratiques. Islamisme (Iran, monarchies du Golfe persique) communisme (Chine), régimes militaires (pays arabes) ou juntes militaires (Birmanie), caudillisme (Amérique latine), autoritarisme, totalitarisme (Corée du nord) absolutisme monarchique sont encore légion dans le monde. Si l’on regarde la carte réalisée à partir du rapport 2017 de l’ONG américaine Freedom House, elle nous donne une indication sur l’état de la démocratie dans le monde actuel. Cette carte, qui établit un classement des Etats du plus démocratique au moins démocratique (195 Etats), montre que la non démocratie envahit quasiment toute l’Asie, à l’exception de l’Inde, les deux tiers de l’Afrique (monde arabe compris) et le Venezuela en Amérique Latine. Le reste des Etats se trouve ou en situation démocratique ou ont le « statut » de démocratie partielle, c’est-à-dire de pluralisme autoritaire. Les dix derniers dans le classement sont : République Centrafricaine, Guinée Equatoriale, Soudan du Sud, Somalie, Turkménistan, Soudan, Ouzbékistan, Corée du Nord, Erythrée et Syrie. Mais, ne nous y trompons pas, tous les Etats non démocratiques se vantent d’avoir des élections, semi-plurielles ou de type plébiscitaires. Même ceux ayant un système de parti unique.


D’où l’utilité d’une Organisation Mondiale pour la Démocratie autour des pays partageant non pas la même culture, le même stade économique ou la même religion, mais les mêmes valeurs de liberté et de démocratie, et qui aura pour mérite de nous épargner la propagande de l’idéologie onusienne. Rien ne peut unir au fond les pays partageant la même culture. Unir la « misère » politique avec les valeurs démocratiques n’est qu’une des formes hypocrites de l’internationalisme du XXe et du début du XXI’ siècle. Et si cette nouvelle Organisation peut paraître comme une fiction. On sait par expérience qu’une fiction peut aussi devenir une réalité, comme l’était l’organisation universelle dans la pensée de Kant, ou comme l’était la démocratie dans la pensée de J-J Rousseau.


Hatem M’rad