Rallonge du pouvoir dans tous les types de régime

 Rallonge du pouvoir dans tous les types de régime

Au centre


Il est certain que le désir des hommes, et même des femmes, au pouvoir de prolonger indéfiniment leur mandat existe dans tous les régimes politiques, des régimes totalitaires jusqu’aux régimes démocratiques. Il n’est plus l’apanage des régimes autoritaires seuls. 


Certains s’arrangent pour se faire désigner à vie, d’autres modifiant autoritairement leur Constitution pour faire des rallonges, d’autres prétextant le vide politique ou le souhait de l’opinion pour le faire. Dans tous les cas, on considère que, quitter le pouvoir est un échec, parce qu’un homme au sommet ne peut retrouver le statut d’un homme ordinaire du jour au lendemain, surtout lorsqu’il se considère comme un personnage hors du commun ou indispensable. Les grands hommes doivent sans doute s’éterniser au pouvoir pour toujours « mieux » servir leurs concitoyens. Les « héros » ne meurent pas, survivent à leurs nations, ne quittent pas le pouvoir sur la pointe des pieds.


L’actualité vient de faire apparaître trois cas récents de rallonge au pouvoir. Leur « mérite », c’est qu’ils relèvent de régimes différents : totalitaire, semi-autoritaire et démocratique.


D’abord, un régime totalitaire, le cas de Xi Jinping en Chine. Seul candidat à s’être présenté devant les députés, il vient ces jours-ci de se faire élire à l’unanimité pour un nouveau mandat. On lui confie la tâche de modifier la Constitution selon le vœu du Parti communiste, pour supprimer la limite de deux mandats pour le président de la République populaire. Il pourra alors solliciter indéfiniment des mandats. C’est dire qu’il a été cette fois-ci élu à vie par l’Assemblée Nationale Populaire (ANP). Il fait mieux qu’en 2013, où il a été élu avec 99,83% des voix (un député a voté contre lui et trois autres se sont abstenus). Il concentre désormais tous les pouvoirs entre ses mains, au point qu’un politologue chinois Hua Po disait de lui, non sans humour : « Je pense que sa priorité pour ce deuxième mandat sera de renforcer encore son pouvoir ». Entendons l’emprise du Parti Communiste Chinois (PCC) sur la société, afin de réaliser « le rêve de  renaissance de la nation chinoise », comme l’écrivait la presse officielle.


Il est vrai que l’homme est populaire et omniprésent dans les médias. Il est vrai qu’il a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, lui permettant de sanctionner 1,5 millions de cadres du PCC, selon un chiffre officiel, et bien entendu, d’écarter ses opposants et rivaux du parti. Il est vrai aussi qu’il se passionne pour le football, qu’il est à la tête d’un pays devenu quasiment la première puissance économique mondiale, au milieu de plusieurs tensions sociales. Mais la voie de l’éternité n’a pas de prix. Il se voit plus que Deng Xiaoping, il rêve de devenir le Mao des temps modernes, représentant d’un nouvel empire économique.


Ensuite, un régime appelé « démocrature », un mélange d’autoritarisme et de pluralisme : le cas de Poutine. Il a été élu le 18 mars, après 18 ans de pouvoir, pour un quatrième mandat (5e mandat si on comptabilise celui de Dimitri Medvedev, qui était aussi le sien) avec 76,66% des voix, dans une élection contestée par l’opposition. La fraude n’a pas été déterminante, mais on a aussi voulu forcer les résultats. Lui aussi, se trouve confronté à la limitation des mandats. La Constitution russe n’autorise que deux seuls mandats. Bien sûr, il a déclaré qu’il n’a pas l’intention de modifier la Constitution pour aller au-delà de 2024. Plaisantant avec un journaliste, il disait : « Serai-je au pouvoir à 100 ans ? Non », en ajoutant « Bien sûr (changer la Constitution), j’y réfléchis ». Un homme de pouvoir, de peu d’expérience démocratique, ne peut en effet promettre l’impossible, lui qui est revenu au pouvoir après avoir contourné un empêchement constitutionnel, après la parenthèse Medvedev. L’usure du pouvoir ne le concerne pas, lui le sportif qui ne boit pas d’alcool. Il a besoin de se surpasser au nom de la grandeur nationaliste et impériale russe.


Tout comme Xi Jinping en Chine, Poutine aussi est populaire. Il a remis la grande Russie sur la scène mondiale, équilibré les relations de puissance vis-à-vis des Etats-Unis, il croît au culte de la force, comme il l’a montré en Crimée ou en Syrie. Tout comme Xi Jinping encore, il contrôle la totalité des  médias publics et a écarté tous les rivaux gênants au parti, dans l’Etat ou pour la course présidentielle. Bref, il a fait de la Russie une puissance redoutée. Que veut le peuple ? Il plébiscite son chef et n’a d’autre choix que lui souhaiter longue vie au pouvoir. Le peuple russe a l’habitude. Dans son histoire, il n’a eu d’autre choix qu’entre un tsar et un « Secrétaire général ».


Enfin, dans un régime démocratique, on a le cas Angela Merkel en Allemagne. Démocratie ou pas, l’usure du pouvoir pointe à l’horizon. Merkel remporte certes les élections le 24 septembre 2017 pour un quatrième mandat, mais à quel prix ? Elle est d’emblée doublement pénalisée par deux faits électoraux: déclin électoral de l’alliance sortante CDU/CSU recueillant ensemble à peine 32,9% des voix, et la montée du parti de l’extrême droite « Alternative pour l’Allemagne » (AFD) qui a axé sa campagne contre la politique migratoire en obtenant un succès inattendu avec 12,6% des voix et 94 sièges (le 2e parti, SPD obtient 20%). L’ensemble est identifié à une « amère » victoire de Merkel ou à une « contre-performance ». Ce qui explique les difficiles négociations avec le SPD pour constituer une alliance gouvernementale. Celui-ci faisant monter les enchères pour tenter de faire plier l’union CDU/CSU, déjà entamée. Merkel obtient en effet dans ce 4e mandat son plus mauvais score. En 2005, son premier mandat, l’union CDU/CSU obtient 35,2% des voix ; en 2009 son deuxième mandat, l’union obtient 33,8% ; en 2013, au troisième mandat 41,5% des voix, son meilleur score, même si elle n’obtient pas toujours la majorité absolue. Aujourd’hui, elle en est à 32,9%, une baisse électorale sensible.


Angela Merkel s’est présentée à son quatrième mandat comme étant une femme d’expérience et d’autorité, sachant négocier les intérêts de l’Allemagne et de l’UE avec les grands de ce monde, remplissant un vide politique en Allemagne en l’absence d’un concurrent aussi charismatique. Il est vrai aussi que les sociaux-démocrates du SPD ne font toujours pas mieux et sont eux-mêmes battus par Merkel depuis quatre mandats. Mais même en démocratie, il y a le revers de la médaille. Cette fois-ci on ne lui donnera plus un chèque en blanc pour prendre des décisions importantes (migration, réfugiés, questions européennes), d’autant plus qu’elle est désormais liée par son alliance avec le SPD, qui va restreindre son domaine d’action. On peut même douter qu’elle puisse aller jusqu’au bout de ce périlleux mandat, même si les Allemands sont traditionnellement attachés à la stabilité gouvernementale. Quatre mandats, c’est mal vu en démocratie. Les Américains ont bien retenu la leçon. Depuis 1951 et l’adoption du 22e amendement de la Constitution, un président américain ne peut plus faire plus de deux mandats, consécutifs ou pas. C’est le syndrome Franklin D. Roosevelt, qui a exercé trois mandats consécutifs et est mort au cours du 4e mandat, peu avant la 2e guerre mondiale. Les Français aussi ont retenu la leçon à leur manière. Ils ont réduit les deux septennats successifs à un double quinquennat.


La démocratie abhorre la concentration du pouvoir et l’illimitation des mandats, même si son détenteur est un démocrate convaincu. On peut le comprendre à la limite pour les régimes autoritaires qui se maintiennent par la force et l’usurpation, mais on ne le comprendra pas en démocratie où le peuple a toujours le choix, même s’il est théoriquement souverain.


Hatem M'rad